UNE COMPAGNIE PANAFRICAINE POUR FACILITER LES RAPPORTS ENTRE NOUS ET AVEC LE MONDE

Partie 2 : Les coulisses de la création

La compagnie se met au travail sans délai et Houphouët évidemment se tient à ses côtés. Tous ceux qui ont réalisé des projets avec lui savent que se réunissent, en sa personne, les dispositions d’un concepteur clairvoyant et d’un bourreau du travail soucieux du détail, attentif à la netteté, exigeant en tout. C’est ce dont témoigne par exemple un Olivier-Clément Cacoub, principal architecte des constructions du président à Yamoussoukro.  Ce sont ces qualités que l’homme apportera également dans la mise en œuvre du projet d’Air Afrique. S’il n’hésite pas à s’impliquer personnellement dans les nombreuses démarches nécessaires, il ne néglige pas non plus de s’appuyer sur des émissaires efficaces comme Hamani Diori ou le docteur Émile Derlin Zinsou à qui, a-t-il laissé transpirer parfois, il avait confié le soin de convaincre Senghor et d’obtenir l’adhésion du Sénégal.

Six mois après les échanges de Mac-Mahon, Félix Houphouët- Boigny, désormais chef d’État de la République de Côte d’ivoire, reçoit ses pairs à la première conférence des États africains d’expression française qui se tient à Abidjan le 26 octobre 1960. Saisissant ses hôtes du projet d’une multinationale aérienne, il a la joie de voir qu’ils ne lui opposent aucune réserve, qu’ils manifestent même de l’enthousiasme, et qu’ils chargent son pays, pour avoir lancé l’idée, de préparer un avant-projet. Le dossier atterrit ainsi sur le bureau de Jean Millier.

La   première   réaction   du   ministre   des   Travaux   publics   et   des Transports de la Côte d’ivoire est une hostilité totale à la tentation de laisser un tel projet entre les seules mains de l’UAT. Pour lui, l’Afrique a tout à gagner à impliquer également Air France. Si les deux compagnies françaises   ne   se   solidarisent   pas   pour   apporter   ensemble   l’appui technique qui sera nécessaire à la nouvelle entreprise, ce sera la porte ouverte à tous les traquenards de la part de celle des deux qui ne sera pas concernée.  Jean Millier envisage par conséquent, dans l’étude qu’il soumet bientôt aux chefs d’Etat, un accord entre UAT et Air France.

Justement les deux compagnies possédaient en commun, sous le nom d’Air Afrique, une petite entreprise qui coordonnait certaines de leurs activités en Afrique.  Historiquement, c’était la troisième société qui portait le même nom, après celle qui avait assuré, à partir de 1936, le trafic aérien de la ligne Paris-Congo Océan et après une plus ancienne compagnie d’aviation qui avait été fondée en 1928 par Louis Weiller.  C’était cette troisième société, propriété commune d’Air France et UAT, qui céderait sa raison sociale à la nouvelle multinationale africaine, avec laquelle elle contracterait ensuite sous le nom de SODETRAF, la société pour le développement des transports aériens en Afrique.

Le document préparé par Jean Millier est présenté aux chefs d’Etat francophones, à une deuxième conférence qui les réunit à Brazzaville du 15 au 19 décembre I960. Mais les chefs d’État, en raison d’un ordre du jour particulièrement chargé, n’ont pas le temps d’en discuter. Ils se bornent à renouveler leur adhésion au principe d’une compagnie panafricaine, et s’en remettent, pour l’examen détaillé de l’avant- projet, à une commission d’experts qui doit se réunir à Dakar, en marge d’une conférence économique interafricaine prévue là, du 30 janvier au 4 février 1961.

La Côte d’ivoire est représentée à cette nouvelle réunion, bien sûr par Jean Millier, mais aussi par Alcide Kacou, qui vient d’entrer dans le gouvernement d’Abidjan comme successeur de ce dernier. Le texte portant création d’Air Afrique est enfin étudié dans le détail, et les experts décident de le soumettre aux chefs d’État, à une conférence économique interafricaine qui doit les réunir à Yaoundé du 26 au 28 mars 1961.

  Le dossier dont les chefs d’Etat sont destinataires est en fait un véritable opuscule, dont les 51 pages renferment six documents importants. Le premier est un Traité relatif aux transports aériens en Afrique. Deux des trois « considérant » du préambule exposent   des idées qui proviennent en droite ligne de la vision du président |Houphouët. Il y est question de « l’amitié et la compréhension entre les États contractants » que le développement de l’aviation civile et en particulier du transport aérien peut contribuer à créer et à maintenir. On y parle ensuite de l’amélioration des relations internationales que l’existence   d’un instrument de transports aériens commun est susceptible de provoquer en permettant à tous les États de mieux se connaître.  Pour le reste, le Traité consigne la décision des États contractants de créer une société commune pour l’exploitation de leurs droits de trafic et de transport aériens concernant aussi bien les relations entre leurs différents territoires qu’avec l’extérieur.

Le deuxième document est une Annexe au Traité concernant des dispositions fiscales et financières accordées à la société commune. Elle engage les parties contractantes à octroyer une large gamme de facilités fiscales et douanières à la société commune. Celle-ci doit, par exemple, être exonérée de tous droits et taxes à l’occasion de sa constitution, de la souscription et des augmentations de son capital social, de sa prorogation ainsi que des formalités diverses liées à ces opérations. Elle doit l’être également à l’occasion de sa dissolution et de sa liquidation, de l’acquisition des biens immobiliers et des droits de transcription et d’enregistrement, ainsi qu’à l’occasion de l’émission d’emprunts. Le texte dispose également que les aéronefs nécessaires à l’exploitation de la société commune, ainsi que le matériel destiné à y être incorporé ou à compléter l’armement, doivent être importés en franchise de droits de douanes et de taxes sur le chiffre d’affaires ou de toute taxe ou droit d’effet équivalent.

Le troisième document n’est autre que les Statuts de la société. L’article 1 annonce qu’il est constitué, sous la raison sociale Air Afrique, une société par actions, régie à la fois par le Traité dont il vient d’être question et par les principes de la législation des États contractants, dans la mesure où ces principes sont compatibles avec les dispositions du Traité et des statuts. Cette société a pour objet, précisé l’article 2, l’exploitation de transports aériens réguliers, supplémentaires ou spéciaux, de passagers, de marchandises ou de poste. Son capital, fixé à 500 millions de francs CFA selon l’article 5, est reparti en 50 000 actions de 10 000 francs chacune, souscrites à raison de 33 000 actions par les États signataires du Traité, et 17 000 par la SODETRAF.

    Dans la capitale de chaque État contractant, la société commune a un établissement ayant les attributs d’un siège social. Et l’article 3 qui traite de ce point cite nommément Yaoundé, Bangui, Brazzaville. Abidjan.  Porto-Novo, Libreville, Nouakchott, Niamey, Dakar.  Fort Lamy et Ouagadougou, comme autant de villes abritant un siège social d’Air Afrique.

Le quatrième document remis aux chefs d’État et de gouvernement est un Protocole de signature du Traité précisant la portée des dispositions de deux articles du Traité, les articles 2 et 10.  Le cinquième document est un autre Protocole annexé au Traité pour déterminer les conditions dans lesquelles doivent fonctionner la société commune et la société contractante, la SODETRAF. Le sixième document enfin est une lettre d’Air France et UAT sollicitant une convention particulière entre ces deux compagnies et Air Afrique sur les services longs courriers.

Douze pays sont représentés à la réunion de la capitale du Cameroun qui va décider de la création de la multinationale Air Afrique, en ce mois de mars 1961. Tous ne sont pas partie prenante dans le projet. Madagascar, dont le chef d’État Philibert Tsiranana est d’ailleurs président de la conférence, n’a pas signé le traité. « Ce n ‘est pas faute d’avoir été intéressé par cette aventure, confie M.  Jean-Claude Delafosse. Mais les partenaires français trouvaient dans 1 éloignement de la Grande île par rapport à l’Afrique de l’Ouest un facteur de dissuasion. » Fousseni Konaté, ancien directeur général adjoint de la compagnie, ajoute qu’« à l’époque, c’était la TAI qui desservait le Pacifique. Il est donc possible qu’UAT, dont le champ d’action était l’Afrique noire, ait éprouvé quelque réticence à intégrer dans l’aventure d’Air Afrique un pays comme Madagascar, qui échappait à sa zone d’opération ».

     Les onze pays qui ont décidé de mettre leurs ressources ensemble au profit de cette création commune sont le Cameroun représenté par le président Ahmadou Ahidjo, la République centrafricaine représente par le président David Dacko, la République du Congo représentée par le président Fulbert Youlou, la Côte d’ivoire représentée par le président Félix Houphouët-Boigny, le Gabon représente par le président Léon M’Ba,  le Dahomey  représenté par le président Hubert Maga, la Haute-Volta représentée par le président Maurice Yaméogo, la République islamique de Mauritanie représentée par le président Moktar Ould  Daddah,  le Niger représenté par le président Hamani Diori, le Sénégal représenté par le président de son  Conseil des ministres Mamadou  Dia,  et le Tchad  représenté par le président François Tombalbaye.

     Ce sera donc Yaoundé qui, après Abidjan, Brazzaville et Dakar, aura accueilli la dernière des réunions préparatoires à la création de la multinationale Air Afrique. C’est là que le grand public apprendra le 28 mars 1961, selon le communiqué final de la conférence économique interafricaine des États d’expression française, que « les chefs d’État et de gouvernement ont signé le traité instituant une Société commune de transports aériens dénommée Air Afrique »

In Félix Houphouët – Boigny : L’épreuve du pouvoir (1960- 1980) – Frédéric GRAH MEL – CERAP, KARTHALA – Chap.23 – pp 470-474

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