Comment en était-on arrivé au choix de ce site ? La question mérite d’être posée car le gouvernement ivoirien, au lieu de faire surgir de la brousse une ville entièrement nouvelle, aurait pu donner à Sassandra le rôle de pôle régional qu’il entendait créer et que cette agglomération jouait déjà depuis l’époque coloniale.
Ce chef-lieu administratif d’antan, qui avait même failli devenir capitale de la Côte d’Ivoire en 1934, pourquoi avait-il fallu le laisser à l’abandon, l’exposer à végéter, voire à mourir ? Sassandra avait été découvert 500 ans auparavant, le jour de la Saint André — d’où le nom qu’il porte — par l’explorateur portugais Soeiro da Costa. C’était le même homme qui, quelques mois plus tard, avait également baptisé du nom de San Pedro le fleuve et le petit village près desquels un de ses compagnons allait rendre l’âme et reposer pour l’éternité. Sur ce site de Sassandra devenu, trois siècles plus tard, un gros centre urbain et commercial, n’y avait-il pas une ville à valoriser ? N’aurait-il pas été plus facile de créer là, sur la base de ce qui existait déjà, un port plus moderne et plus grand ?
Parmi les Ivoiriens qui se posent ces questions, on entend certains aller jusqu’à suspecter ouvertement Houphouët d’avoir voulu, à travers le rejet de Sassandra, punir cette ville d’avoir engendré un des plus farouches adversaires du président du RDA, Étienne Djaument. Cette accusation avait-elle le moindre fondement ? Qu’en était-il exactement ?
En réalité, le choix de San Pedro comme épicentre du développement du sud-ouest ne s’est fait ni par hasard, encore moins par esprit de revanche de la part du président Houphouët. La région avait été au cœur d’une transaction dont Houphouët connaissait parfaitement l’existence aussi bien que le contenu. Bien que le domaine de San Pedro fût une des portions du territoire ivoirien qui allait accéder à l’indépendance de façon indivise en 1960, il demeurait un des fiefs concédés par l’État français à un opérateur privé. Pour pouvoir y faire régner son autorité, le nouvel État de Côte d’Ivoire était dans l’obligation de le racheter. Le bénéficiaire de la concession s’appelait Arthur Verdier. Il n’était pas seulement connu en Côte d’Ivoire pour avoir refusé de participer en 1870 à la guerre de la France contre la Prusse. Il était surtout célèbre pour les frais et les efforts qu’il avait consentis pour soustraire le territoire ivoirien actuel aux visées des Anglais, lesquels voulaient étendre leur colonisation de la côte ouest-africaine, de la Gambie au Nigeria. Pour l’indemniser de cela, il avait reçu en octobre 1893 une concession qui s’étendait sur l’intégralité de la colonie. Puis l’administration la lui avait rachetée au prix de 2 millions de francs or, par une convention approuvée le 31 juillet 18979
Dans le dernier chapitre de son livre Trente-cinq années de lutte aux colonies, il explique avec force détails l’interminable litige qui l’avait opposé aussi bien au ministre des Colonies, Théophile Delcassé, qu’au premier gouverneur de la Côte d’ivoire, Louis-Gustave Binger, pour reconstituer une nouvelle concession. Réclamant des terres qui devaient s’étendre sur plus de 20 millions d’hectares, allant du fleuve Tanoë à l’est au fleuve San Pedro à l’ouest, il avait fini par recevoir, le 7 août 1900 une portion nommée le « domaine de San Pedro ». La superficie concernée était de 270 000 hectares, situés dans un rectangle de 90 km de long et 30 km de large, de part et d’autre du fleuve San Pedro.
Parce que l’obtention de cette concession avait nettement le caractère d’une rétribution pour services rendus à l’État, elle fut assortie de droits exceptionnels, comme par exemple la pleine propriété immédiate, à titre définitif, du sol et du sous-sol, sans cahier des charges ni obligation de mise en valeur.
Verdier n’avait pu connaître personnellement l’usufruit de la transaction. Il était décédé en 1898, deux ans avant l’acquisition de ces terres auxquelles il avait consacré, si l’on en juge par le ton de son livre, les dernières énergies de sa vie. Ses successeurs ne gardent le domaine de San Pedro que dix ans. Au mois d’août 1910, ils le vendent pour £ 80 000, soit aujourd’hui 48 millions de francs CFA, à une société anglaise du nom de Ivory Coast Corporation Limited (ICCL).
En février 1915, l’ICCL est mise en liquidation et est aussitôt reconstituée sous l’appellation de New Ivory Coast Corporation Limited (NICCL). La nouvelle société ne s’intéresse au domaine de San Pedro que deux ans après sa formation. Elle en prend possession en octobre 1917, au prix de £ 17 588, soit aujourd’hui 10 552 800 francs CFA. Elle ne la gardera que trois ans. Au mois de novembre 1920, elle la cède, pour la somme de 2 millions de FF, à un consortium constitué de la compagnie des Scieries africaines (SCAF) et de la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas).
Six mois ne se sont pas encore écoulés que Paribas cède ses 10 000 actions à la SCAF, laquelle devient propriétaire unique du domaine de San Pedro à partir d’avril 1921. C’est à la SCAF que la République de Côte d’Ivoire rachètera plus tard le domaine de San Pedro. La transaction a lieu au mois de décembre 1959, pour la somme de 160 millions de francs CFA.
In LA CONSTRUCTION DE LA CÔTE D’IVOIRE (1960 – 1993) « CHAPITRE 21 : SAN PEDRO, LE PARI DE NOTRE FOI EN L’AVENIR » pp. 432 – 434
LE CHOIX DU SITE
Comment en était-on arrivé au choix de ce site ? La question mérite d’être posée car le gouvernement ivoirien, au lieu de faire surgir de la brousse une ville entièrement nouvelle, aurait pu donner à Sassandra le rôle de pôle régional qu’il entendait créer et que cette agglomération jouait déjà depuis l’époque coloniale.
Ce chef-lieu administratif d’antan, qui avait même failli devenir capitale de la Côte d’Ivoire en 1934, pourquoi avait-il fallu le laisser à l’abandon, l’exposer à végéter, voire à mourir ? Sassandra avait été découvert 500 ans auparavant, le jour de la Saint André — d’où le nom qu’il porte — par l’explorateur portugais Soeiro da Costa. C’était le même homme qui, quelques mois plus tard, avait également baptisé du nom de San Pedro le fleuve et le petit village près desquels un de ses compagnons allait rendre l’âme et reposer pour l’éternité. Sur ce site de Sassandra devenu, trois siècles plus tard, un gros centre urbain et commercial, n’y avait-il pas une ville à valoriser ? N’aurait-il pas été plus facile de créer là, sur la base de ce qui existait déjà, un port plus moderne et plus grand ?
Parmi les Ivoiriens qui se posent ces questions, on entend certains aller jusqu’à suspecter ouvertement Houphouët d’avoir voulu, à travers le rejet de Sassandra, punir cette ville d’avoir engendré un des plus farouches adversaires du président du RDA, Étienne Djaument. Cette accusation avait-elle le moindre fondement ? Qu’en était-il exactement ?
En réalité, le choix de San Pedro comme épicentre du développement du sud-ouest ne s’est fait ni par hasard, encore moins par esprit de revanche de la part du président Houphouët. La région avait été au cœur d’une transaction dont Houphouët connaissait parfaitement l’existence aussi bien que le contenu. Bien que le domaine de San Pedro fût une des portions du territoire ivoirien qui allait accéder à l’indépendance de façon indivise en 1960, il demeurait un des fiefs concédés par l’État français à un opérateur privé. Pour pouvoir y faire régner son autorité, le nouvel État de Côte d’Ivoire était dans l’obligation de le racheter. Le bénéficiaire de la concession s’appelait Arthur Verdier. Il n’était pas seulement connu en Côte d’Ivoire pour avoir refusé de participer en 1870 à la guerre de la France contre la Prusse. Il était surtout célèbre pour les frais et les efforts qu’il avait consentis pour soustraire le territoire ivoirien actuel aux visées des Anglais, lesquels voulaient étendre leur colonisation de la côte ouest-africaine, de la Gambie au Nigeria. Pour l’indemniser de cela, il avait reçu en octobre 1893 une concession qui s’étendait sur l’intégralité de la colonie. Puis l’administration la lui avait rachetée au prix de 2 millions de francs or, par une convention approuvée le 31 juillet 18979
Dans le dernier chapitre de son livre Trente-cinq années de lutte aux colonies, il explique avec force détails l’interminable litige qui l’avait opposé aussi bien au ministre des Colonies, Théophile Delcassé, qu’au premier gouverneur de la Côte d’ivoire, Louis-Gustave Binger, pour reconstituer une nouvelle concession. Réclamant des terres qui devaient s’étendre sur plus de 20 millions d’hectares, allant du fleuve Tanoë à l’est au fleuve San Pedro à l’ouest, il avait fini par recevoir, le 7 août 1900 une portion nommée le « domaine de San Pedro ». La superficie concernée était de 270 000 hectares, situés dans un rectangle de 90 km de long et 30 km de large, de part et d’autre du fleuve San Pedro.
Parce que l’obtention de cette concession avait nettement le caractère d’une rétribution pour services rendus à l’État, elle fut assortie de droits exceptionnels, comme par exemple la pleine propriété immédiate, à titre définitif, du sol et du sous-sol, sans cahier des charges ni obligation de mise en valeur.
Verdier n’avait pu connaître personnellement l’usufruit de la transaction. Il était décédé en 1898, deux ans avant l’acquisition de ces terres auxquelles il avait consacré, si l’on en juge par le ton de son livre, les dernières énergies de sa vie. Ses successeurs ne gardent le domaine de San Pedro que dix ans. Au mois d’août 1910, ils le vendent pour £ 80 000, soit aujourd’hui 48 millions de francs CFA, à une société anglaise du nom de Ivory Coast Corporation Limited (ICCL).
En février 1915, l’ICCL est mise en liquidation et est aussitôt reconstituée sous l’appellation de New Ivory Coast Corporation Limited (NICCL). La nouvelle société ne s’intéresse au domaine de San Pedro que deux ans après sa formation. Elle en prend possession en octobre 1917, au prix de £ 17 588, soit aujourd’hui 10 552 800 francs CFA. Elle ne la gardera que trois ans. Au mois de novembre 1920, elle la cède, pour la somme de 2 millions de FF, à un consortium constitué de la compagnie des Scieries africaines (SCAF) et de la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas).
Six mois ne se sont pas encore écoulés que Paribas cède ses 10 000 actions à la SCAF, laquelle devient propriétaire unique du domaine de San Pedro à partir d’avril 1921. C’est à la SCAF que la République de Côte d’Ivoire rachètera plus tard le domaine de San Pedro. La transaction a lieu au mois de décembre 1959, pour la somme de 160 millions de francs CFA.
In LA CONSTRUCTION DE LA CÔTE D’IVOIRE (1960 – 1993) « CHAPITRE 21 : SAN PEDRO, LE PARI DE NOTRE FOI EN L’AVENIR » pp. 432 – 434