…. Comment écouleraient-ils leurs produits ? Il s’était gardé de donner la moindre précision, sans que ses déclarations ne parviennent à cacher son souci pour ce sujet. « Nous ferons davantage pour la population, promettait-il à la foule massée devant lui le 23 janvier 1960 à Guiglo. Monsieur le ministre Monnet et les jeunes gens qu’on prépare pour encadrer la masse paysanne vous diront très bientôt comment nous devons organiser la campagne pour éviter précisément la mauvaise culture, améliorer le rendement des plantations existantes et créer de nouvelles plantations. Nous ne nous contenterons pas de produire. Nous devrons réaliser un écoulement permettant la rémunération de l’effort du paysan. Ce que nous sommes en train de faire pour le café, bien que nous soyons en position difficile du fait que le Brésil contrôle ce marché, nous le ferons pour toutes les autres productions. »
On voit bien, dans cette déclaration, que le président ne fait pas mystère de son souci pour l’écoulement de la production agricole de l’ouest. Qu’al1ait-il faire exactement ? C’était ce qu’on n’allait pas tarder à savoir.
Dès cette année 1960, le gouvernement charge un bureau d’étude français, la Compagnie d’équipement international (CEI), de procéder à un inventaire physique et économique général de la région du sud- ouest. La CEI n’avait pas encore déposé son rapport quand le même gouvernement décidait de confier au Bureau central d’études pour les équipements d’outre-mer (BCEOM) une mission de recherche d’un site sur le littoral du sud-ouest, Susceptible d’accueillir une infrastructure portuaire.
Études générales, reconnaissance aérienne et sondages sont menés pendant six mois, de mais à août 1961, et le BCEOM conclut à la sélection de quatre sites : Sassandra et Monogaga, San Pedro et Néro Mer, dans le tout proche environnement de Grand Béréby.
Sassandra, Monogaga et Néro Mer sont écartés par la suite, essentiellement en raison de l’encombrement de leurs rivages. L’élimination de Sassandra tient à l’accumulation d’une grande masse d’éléments solides charriés à son embouchure par le fleuve éponyme. Elle n’a donc rien à voir avec les conflits d’antan entre Félix HOUPHOUËT-BOIGNY et Étienne DJAUMENT. Ailleurs, à Monogaga notamment, les sondages révèlent des fonds marins plutôt rocheux, qui interdisent la possibilité d’établir un port lagunaire, plus économique qu’un port extérieur.
Il ne reste plus que San Pedro, qu’à l’inverse de ses trois rivaux, tout concourt à projeter comme le site le plus séduisant. Le petit fleuve qui a donné son nom à la ville se jette dans une modeste lagune à laquelle il s’associe pour former un plan d’eau et un site naturel magnifiques. Cette lagune est protégée des agitations de la mer par une bande rocheuse d’environ 400 mètres de long, qui est une digue naturelle parallèle au rivage.
Contrairement à ce qui a été constaté partout ailleurs, ici les études révèlent que non seulement le San Pedro n’entraîne pas avec lui des quantités importantes d’éléments solides, mais en outre la lagune elle- même, ainsi que la passe par où ses eaux se jettent dans la mer, sont dépourvues de tout fond rocheux. C’est, par conséquent, ce site que le BCEOM propose au gouvernement, et c’est lui que naturellement le gouvernement choisit.
Au début de l’année 1962, une nouvelle campagne d’étude est lancée, toujours à la requête des autorités d’Abidjan et toujours par le BCEOM, avec pour objectif d’aboutir à l’établissement d’un plan directeur du futur port. La première pfOp0sition de ce plan porte sur l’endiguement et le barrage du fleuve San Pedro à environ deux kilomètres au nord de la côte, dans le but de le dériver vers l’est.
Sur la côte même, le plan prévoit la création de 14 postes à quai allant de 100 à 650 mètres de longueur, plusieurs mouillages, et cinq quais spécialisés, réservés à la pêche, aux servitudes, aux grumes, à la marine nationale et au pétrole. Enfin le plan prévoit la création d’un cercle d’évitage de 450 mètres de diamètre, auquel on doit accéder par un chenal de 150 mètres de largeur, dragué à — 12 mètres et protégé par une jetée en enrochement de 265 mètres prolongeant du côté est la bande rocheuse qui protège naturellement la lagune de la houle.
Ces installations doivent s’étendre sur 60 hectares de plans d’eau et 85 hectares de plans terrestres. Elles sont conçues pour recevoir les navires les plus lourds de la côte ouest-africaine, et elles doivent permettre un trafic de l’ordre de deux millions de tonnes de marchandises diverses.
Le 3 mai 1968, l’introduction d’une drague de 2400 tonnes dans l’estuaire de San Pedro donne le départ à la réalisation économique la plus importante jamais entreprise en Côte d’Ivoire depuis l’indépendance. On estime à cette date le coût global de l’infrastructure de base à 8475 millions de francs CFA. La construction du port proprement dit est évaluée à 3457 millions. Le coût des routes est estimé à 3467 millions. L’urbanisme doit engloutir 1241 millions et le bureau d’ingénieur-conseil chiffre ses services à 310 millions de francs.
Le financement avait été bouclé depuis le 18 décembre 1967. Un accord signé ce jour-là par le gouvernement ivoirien avec les gouvernements de France, d’Allemagne et d’ltalie engageait la Côte d’Ivoire à participer au financement des travaux à hauteur de 2 milliards de francs CFA, sur ses ressources propres. La Côte d’ivoire s’en acquitterait en déboursant 1,5 milliard sous forme de paiements directs et 500 millions sous forme d’exonération de taxes.
Les contributions française et allemande devaient être apportées sous forme de crédits fournisseurs à moyen terme et de prêts gouvernementaux à long terme. C’étaient la Compagnie française assurance pour le commerce extérieur (COFACE) et HERMES, le leader de l’assurance-crédit en Allemagne, qui garantissaient les crédits fournisseurs. Ils intervenaient dans le montage respectivement à hauteur de 1090 millions et 115 millions de francs CFA, remboursables en cinq ans après la fin des travaux.
Les travaux qui ont commencé ce mois de mai 1968 grâce au concours de ces grandes entreprises ne sont que la première tranche de la construction du port de San Pedro. Ils portent sur une dizaine d’objectifs, tous aussi importants les uns que les autres l’établissement du plan d’eau, la création de la jetée, la construction de deux postes à quai, l’un de 160 mètres de longueur dragué à 9 mètres pour les bananiers, l’autre de 180 mètres dragué à – 11 mètres pour les navires divers, et un certain nombre d’aménagements, parmi lesquels notamment celui d’un terre-plein de 6 hectares pour le déchargement des billes, celui de six mouillages pour le chargement des bois flottables, celui d’un quai de 60 mètres dragué à — 4 mètres, d’où les billes seront jetées dans un bassin de 22 hectares de parcs flottants, et enfin celui d’un quai de servitudes dragué également à — 4 mètres.
PHOTO D’ILLUSTRATION : CARTE DU PORT DE SAN -PEDRO
Cependant, les retards constatés n’empêchent nullement le président Houphouët de se montrer fier de la décision de réaliser le projet de San Pedro. L’homme avait l’habitude de ne dossier qu’une fois celui-ci traité ou en cours de traitement. C’est donc sans surprise que ceux qui le connaissent l’entendent parler de San Pedro, mais aussi de Kossou, dans son adresse à ses compatriotes de la fête nationale d’août 1969. Ce sont deux projets, leur dit-il, grâce auxquels nous comptons écrire une page importante de notre histoire.
In LA CONSTRUCTION DE LA CÔTE D’IVOIRE (1960 – 1993) « CHAPITRE 21 : SAN PEDRO, LE PARI DE NOTRE FOI EN L’AVENIR » pp. 437 – 442
FINANCEMENT ET CONSTRUCTION DU PORT
…. Comment écouleraient-ils leurs produits ? Il s’était gardé de donner la moindre précision, sans que ses déclarations ne parviennent à cacher son souci pour ce sujet. « Nous ferons davantage pour la population, promettait-il à la foule massée devant lui le 23 janvier 1960 à Guiglo. Monsieur le ministre Monnet et les jeunes gens qu’on prépare pour encadrer la masse paysanne vous diront très bientôt comment nous devons organiser la campagne pour éviter précisément la mauvaise culture, améliorer le rendement des plantations existantes et créer de nouvelles plantations. Nous ne nous contenterons pas de produire. Nous devrons réaliser un écoulement permettant la rémunération de l’effort du paysan. Ce que nous sommes en train de faire pour le café, bien que nous soyons en position difficile du fait que le Brésil contrôle ce marché, nous le ferons pour toutes les autres productions. »
On voit bien, dans cette déclaration, que le président ne fait pas mystère de son souci pour l’écoulement de la production agricole de l’ouest. Qu’al1ait-il faire exactement ? C’était ce qu’on n’allait pas tarder à savoir.
Dès cette année 1960, le gouvernement charge un bureau d’étude français, la Compagnie d’équipement international (CEI), de procéder à un inventaire physique et économique général de la région du sud- ouest. La CEI n’avait pas encore déposé son rapport quand le même gouvernement décidait de confier au Bureau central d’études pour les équipements d’outre-mer (BCEOM) une mission de recherche d’un site sur le littoral du sud-ouest, Susceptible d’accueillir une infrastructure portuaire.
Études générales, reconnaissance aérienne et sondages sont menés pendant six mois, de mais à août 1961, et le BCEOM conclut à la sélection de quatre sites : Sassandra et Monogaga, San Pedro et Néro Mer, dans le tout proche environnement de Grand Béréby.
Sassandra, Monogaga et Néro Mer sont écartés par la suite, essentiellement en raison de l’encombrement de leurs rivages. L’élimination de Sassandra tient à l’accumulation d’une grande masse d’éléments solides charriés à son embouchure par le fleuve éponyme. Elle n’a donc rien à voir avec les conflits d’antan entre Félix HOUPHOUËT-BOIGNY et Étienne DJAUMENT. Ailleurs, à Monogaga notamment, les sondages révèlent des fonds marins plutôt rocheux, qui interdisent la possibilité d’établir un port lagunaire, plus économique qu’un port extérieur.
Il ne reste plus que San Pedro, qu’à l’inverse de ses trois rivaux, tout concourt à projeter comme le site le plus séduisant. Le petit fleuve qui a donné son nom à la ville se jette dans une modeste lagune à laquelle il s’associe pour former un plan d’eau et un site naturel magnifiques. Cette lagune est protégée des agitations de la mer par une bande rocheuse d’environ 400 mètres de long, qui est une digue naturelle parallèle au rivage.
Contrairement à ce qui a été constaté partout ailleurs, ici les études révèlent que non seulement le San Pedro n’entraîne pas avec lui des quantités importantes d’éléments solides, mais en outre la lagune elle- même, ainsi que la passe par où ses eaux se jettent dans la mer, sont dépourvues de tout fond rocheux. C’est, par conséquent, ce site que le BCEOM propose au gouvernement, et c’est lui que naturellement le gouvernement choisit.
Au début de l’année 1962, une nouvelle campagne d’étude est lancée, toujours à la requête des autorités d’Abidjan et toujours par le BCEOM, avec pour objectif d’aboutir à l’établissement d’un plan directeur du futur port. La première pfOp0sition de ce plan porte sur l’endiguement et le barrage du fleuve San Pedro à environ deux kilomètres au nord de la côte, dans le but de le dériver vers l’est.
Sur la côte même, le plan prévoit la création de 14 postes à quai allant de 100 à 650 mètres de longueur, plusieurs mouillages, et cinq quais spécialisés, réservés à la pêche, aux servitudes, aux grumes, à la marine nationale et au pétrole. Enfin le plan prévoit la création d’un cercle d’évitage de 450 mètres de diamètre, auquel on doit accéder par un chenal de 150 mètres de largeur, dragué à — 12 mètres et protégé par une jetée en enrochement de 265 mètres prolongeant du côté est la bande rocheuse qui protège naturellement la lagune de la houle.
Ces installations doivent s’étendre sur 60 hectares de plans d’eau et 85 hectares de plans terrestres. Elles sont conçues pour recevoir les navires les plus lourds de la côte ouest-africaine, et elles doivent permettre un trafic de l’ordre de deux millions de tonnes de marchandises diverses.
Le 3 mai 1968, l’introduction d’une drague de 2400 tonnes dans l’estuaire de San Pedro donne le départ à la réalisation économique la plus importante jamais entreprise en Côte d’Ivoire depuis l’indépendance. On estime à cette date le coût global de l’infrastructure de base à 8475 millions de francs CFA. La construction du port proprement dit est évaluée à 3457 millions. Le coût des routes est estimé à 3467 millions. L’urbanisme doit engloutir 1241 millions et le bureau d’ingénieur-conseil chiffre ses services à 310 millions de francs.
Le financement avait été bouclé depuis le 18 décembre 1967. Un accord signé ce jour-là par le gouvernement ivoirien avec les gouvernements de France, d’Allemagne et d’ltalie engageait la Côte d’Ivoire à participer au financement des travaux à hauteur de 2 milliards de francs CFA, sur ses ressources propres. La Côte d’ivoire s’en acquitterait en déboursant 1,5 milliard sous forme de paiements directs et 500 millions sous forme d’exonération de taxes.
Les contributions française et allemande devaient être apportées sous forme de crédits fournisseurs à moyen terme et de prêts gouvernementaux à long terme. C’étaient la Compagnie française assurance pour le commerce extérieur (COFACE) et HERMES, le leader de l’assurance-crédit en Allemagne, qui garantissaient les crédits fournisseurs. Ils intervenaient dans le montage respectivement à hauteur de 1090 millions et 115 millions de francs CFA, remboursables en cinq ans après la fin des travaux.
Les travaux qui ont commencé ce mois de mai 1968 grâce au concours de ces grandes entreprises ne sont que la première tranche de la construction du port de San Pedro. Ils portent sur une dizaine d’objectifs, tous aussi importants les uns que les autres l’établissement du plan d’eau, la création de la jetée, la construction de deux postes à quai, l’un de 160 mètres de longueur dragué à 9 mètres pour les bananiers, l’autre de 180 mètres dragué à – 11 mètres pour les navires divers, et un certain nombre d’aménagements, parmi lesquels notamment celui d’un terre-plein de 6 hectares pour le déchargement des billes, celui de six mouillages pour le chargement des bois flottables, celui d’un quai de 60 mètres dragué à — 4 mètres, d’où les billes seront jetées dans un bassin de 22 hectares de parcs flottants, et enfin celui d’un quai de servitudes dragué également à — 4 mètres.
PHOTO D’ILLUSTRATION : CARTE DU PORT DE SAN -PEDRO
Cependant, les retards constatés n’empêchent nullement le président Houphouët de se montrer fier de la décision de réaliser le projet de San Pedro. L’homme avait l’habitude de ne dossier qu’une fois celui-ci traité ou en cours de traitement. C’est donc sans surprise que ceux qui le connaissent l’entendent parler de San Pedro, mais aussi de Kossou, dans son adresse à ses compatriotes de la fête nationale d’août 1969. Ce sont deux projets, leur dit-il, grâce auxquels nous comptons écrire une page importante de notre histoire.
In LA CONSTRUCTION DE LA CÔTE D’IVOIRE (1960 – 1993) « CHAPITRE 21 : SAN PEDRO, LE PARI DE NOTRE FOI EN L’AVENIR » pp. 437 – 442