LA CAISSE DE STABILISATION, LA MEILLEURE ET LA PIRE DES CHOSES

La nouvelle CAISTAB, organisation et performances

En 1962, le Conseil d’administration de la Caisse unique passe à seize membres, appelés certes, eux aussi, à élire en leur sein un président et un vice-président.  Mais désormais, il n’y a plus que ces deux personnalités à voir leur choix entériné par le gouvernement : « Le choix du président et du vice-président est ratifié par arrêté », indique l’article 3 du décret du 8 février 1962. Qu’avait-on à reprocher à la responsabilité collective du comité de gestion ? Cette formule avait-elle donné lieu à un fonctionnement moins efficace ? Houphouët ne veut-il pas simplement se donner désormais le moyen légal de placer à la tête de la Caisse un interlocuteur unique, ayant son entière confiance, susceptible de défendre et de faire admettre ses vues dans l’instance de décision de l’organe ?

C’est le sentiment que donne la nomination de son propre neveu Jacques Aka à la présidence de la nouvelle Caisse.  L’impression de la désignation d’un homme plus sûr aux yeux d’Houphouët, plus compréhensif à son égard, est confortée par la personnalité du prédécesseur de Jacques Aka. À la tête du comité de gestion des deux Caisses, le premier président n’était antre que Joseph Anoma« .  On se souvient que cet homme avait été, avec Georges Kassi, Lamine Touré, Gabriel Dadié, Djibril Diaby, Fulgence Brou et Kouamé N’Guessan, l’un des grands planteurs indigènes qui avaient effectué en 1944 le voyage de Yamoussoukro pour arracher au jeune chef de canton Félix Houphouët la décision de présider le Syndicat agricole africain.  Il comptait ainsi au nombre des personnes qui avaient servi de tremplin à la fulgurante ascension du futur président de la République de Côte d’ivoire. Envers ces « anciens » comme les désignaient souvent les récits du RDA, Houphouët nourrissait le sentiment d’un obligé.  Il ne pouvait guère disposer d’eux comme il voulait. C’était davantage lui qui les écoutait et cédait à leurs souhaits que le contraire. En ce qui concernait Anoma plus particulièrement, son flegme dans le règlement de la crise toute récente du Sanwi était encore là pour rappeler à Houphouët à quel point il devait éviter de compter sur la soumission inconditionnelle d’un tel homme à ses vues.  Le plus simple pour lui n’était-il pas, par conséquent, de le déposséder de toute responsabilité, pourvu qu’il eût les honneurs d’un vieux de la vieille ? On se souvient que le jeune chef d’État l’avait destiné, depuis le 13 janvier 1960, à un poste dans lequel il n’aurait qu’à inaugurer les chrysanthèmes, la Grande chancellerie.

Hélas pour Houphouët, son neveu n’a pas l’heur de vivre bien longtemps puisqu’il trouve la mort le 20 mai 1963, à peine plus d’un an après son arrivée à la tête de la Caisse.  Il faut identifier un autre inconditionnel : le président le déniche en la personne de son vieil ami des années bingervilloises Marcel Laubhouët.

La Caisse, sous cet homme, ne voit pas s’interrompre son évolution. Elle entre dans un cycle de mutations dont la principale sera le passage du statut d’établissement public à celui d’une structure commerciale. Ce sont essentiellement les conditions du marché qui imposent cette métamorphose.  On peut invoquer notamment la pénétration croissante du café de Côte d’ivoire sur d’autres marchés que celui de la zone franc. Cette donnée incite le pays à adhérer à l’accord à long terme qui régit depuis 1962 le commerce du café sur le marché mondial. Dès lors, la Côte d’ivoire est obligée d’adopter un autre comportement que celui observé sur la zone franc, où l’assurance d’écouler des contingents annuels à des prix garantis l’inclinait à une certaine timidité. À partir de 1964, un nouveau facteur pousse le pays à introduire encore plus de dynamisme dans sa politique du négoce international, la décision de Paris d’appliquer une libéralisation totale des prix et des importations sur le marché français.

Devant ces développements, la Caisse de stabilisation de Côte d’ivoire, qui gère également la commercialisation du coton depuis 1963, a besoin de la souplesse d’intervention propre aux sociétés commerciales.  Or il existe dans le pays, depuis 1962-1963, une législation qui favorise cette souplesse, notamment en permettant de doter les entreprises publiques d’une autonomie de décision et de gestion. C’est d’abord la loi n° 62-82 du 22 mars 1962 autorisant la création de sociétés d’État par décret, puis la loi de finances rectificative n° 63-22 du 5 février 1963. Elles forment un petit arsenal sur lequel Houphouët prend appui pour transformer la Caisse en société d’État.  Il réalise cela par le décret n° 64-315 du 17 août 1964.

L’institution porte désormais le nom de Caisse de stabilisation et de soutien des productions agricoles, est dotée d’un capital de 500 millions de francs CFA, et est appelée à exercer ses activités conformément aux usages en vigueur dans les entreprises privées.

En vertu de sa nouvelle qualité, la Caisse peut désormais sortir des pesanteurs de la comptabilité publique et, comme l’indique explicitement l’article 12 du décret, « agir conformément aux règles en usage dans les établissements industriels et commerciaux ». Elle jouit de la possibilité d’ouvrir des comptes bancaires en son nom propre.  Si elle reste soumise au contrôle d’Etat comme le signale l’article 14, les procédures sont cependant allégées, pour une institution qui est à la fois ordonnateur de ses dépenses et payeur. Dans la foulée de ces changements, l’ancien comité de gestion cède le pas à un conseil d’administration de douze membres, dont les travaux sont assistés pai un commissaire aux comptes affecté auprès de l’institution par le ministère des Finances.

Encore deux ans, et on voit grimper jusqu’à 4 milliards de francs CFA le capital social qui n’était que de 500 millions.  Cette hausse spectaculaire intervient à l’occasion d’une nouvelle métamorphose de la Caisse, enregistrée le 21 septembre 1966. Par le décret n° 66-445 signé ce jour-là par Houphouët, la Caisse prend la configuration qu’elle gardera jusqu’à la fin de son existence, quelque trente années plus tard.

Ce décret introduit deux innovations majeures dans le fonctionnement de l’institution.  Une première innovation porte sur la tutelle de la Caisse, confiée désormais au ministère de l’ Agriculture. La précision n’est certes pas formulée explicitement par le décret, mais on la voit dans le privilège qui est désormais donné au ministre de F Agriculture de proposer aux quatorze membres du conseil d’administration le directeur général de la société. C’était au ministre des Finances qui revenait cette prérogative par le passé.

La seconde innovation majeure est relative à la décision d’exposer au grand jour l’usage à faire des gains de la société. L’article 14 du décret précise que 60 % des résultats nets de chaque exercice seront affectés à un fonds de réserve destiné à pourvoir aux dépenses extraordinaires procédant de la stabilisation des prix des productions agricoles. Les 40 % restants sont répartis de la façon suivante : 15% iront au financement d’opérations économiques. 15 % à celui d’opérations sociales et 10 % serviront à la dotation de la Caisse nationale de crédit agricole.

  La hausse du capital social à 4 milliards de francs des 1966 suffît à attester la bonne santé financière de ce qu’on appelle désormais la Caisse de stabilisation et de soutien des prix des produits agricoles. Quels montants l’institution a-t-elle permis de mobiliser depuis sa création ? C’est une question sur laquelle les documents sont souvent introuvables et les témoins pour le moins discrets.  L’un des rares responsables qui ait risqué une indication, l’ancien ministre ivoirien du Budget, de l’Économie et des Finances, Moïse Koumoué Koffi, affirme que les résultats de la Caisse ont été positifs pratiquement de 1970 à 1986, et qu’ils ont représenté, selon les années, entre 30 et 44 % des recettes totales de l’État.

   Pierre Péan ajoute que la marge de manœuvre de la Caisse en 1985 se situe à environ 600 milliards de francs CFA (1,2 milliards de FF). Constatant par ailleurs qu’en 1987, les prix mondiaux étaient tombés en dessous des prix de soutien intérieurs, Koumoué Koffi signale que la Caisse a commencé à subir, cette année-là, des pertes substantielles « pour la première fois de son histoire ». C’est l’ensemble de la situation budgétaire ivoirienne, laisse-t-il entendre, qui se ressentira des conséquences de ces pertes. Le déficit budgétaire enregistré en 1987 en Côte d’ivoire atteint en effet 6 % du produit intérieur brut. Dès l’année suivante, il bondit au-delà du double de ce taux, 13,5 %.

  In Félix Houphouët – Boigny : L’épreuve du pouvoir (1960- 1980) – Frédéric GRAH MEL – CERAP, KARTHALA – pp 456-460

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