FETES TOURNANTES ET CONSTRUCTION DES VILLES

La dynamique du « bouleversement » infrastructurel des villes

Comme prévu depuis juillet 1964, c’est Abidjan qui accueille les festivités du 7 août 1966. En 1967 arrive le tour de Daloa, dans le centre-ouest de la Côte d’ivoire. La fête nationale entraîne là aussi l’ouverture de nouvelles artères, le bitumage d’un certain nombre de rues anciennes, une réhabilitation substantielle de la voirie. Partout, témoigne Marc Ziké, les maisons ont été repeintes, des immeubles ont surgi en moins de trois mois.

Six mois avant la fête, avait commencé le rodage d’un nouvel établissement hôtelier. Avec ses trois étages, c’est l’une des plus belles réalisations de tout le département. Il s’étale sur un immense domaine de 17 hectares, offre quarante-quatre chambres climatisées et un restaurant qui peut servir 150 repas.

Un stade omnisports, deux boulevards périphériques, une extension notable de l’éclairage public étaient venus élargir les, possibilités nouvelles de cette agglomération de 60 000 habitants. Ce n’est pas tout. La ville n’avait, jusque-là, qu’un modeste château d’eau d’une capacité de 300 mètres cubes. La fête nationale décentralisée permet de mettre à sa disposition un château d’eau flambant neuf, d’une capacité plus de huit fois supérieure, 2500 mètres cubes. Daloa peut désormais se faire passer pour une ville moderne.  Il dispose de toutes les commodités nécessaires à cette prétention. Jamais avant le 7 août 1967, il n’avait autant mérité cette appellation de « capitale du centre-ouest » que lui attribuait déjà une chanson populaire de l’époque.

Après Bouaké, Korhogo et Daloa, un véritable esprit d’émulation s’empare des chefs-lieux de la province ivoirienne. Tout se passe comme si la ville organisatrice de la fête nationale recherchait la palme de la plus belle toilette. Ainsi, Abengourou n’entend-il pas faire moins bonne figure en 1968 que ses trois prédécesseurs. On se souvient que c’était l’une des villes où le jeune médecin africain Félix Houphouët avait exercé son art une quarantaine d’années plus tôt. Il y avait même contracté son premier mariage. Grâce à cette fête nationale, il revient chez ses beaux-parents, dans le pays de ses enfants. Il revient un peu chez lui. Ici plus qu’ailleurs, il a des raisons de se sentir concerné par la construction du cadre urbain. Et de fait, on ne peut pas le croire distant, en voyant l’impressionnante quantité des réalisations effectuées quelque temps seulement avant les manifestations.

Les bureaux de la préfecture, ceux de la direction départementale de l’Agriculture et de l’inspection départementale du Travail sont tout neufs. Un hôtel de vingt chambres, l’Indénié hôtel, dix villas offrant un ensemble de trente chambres, un hôtel des Postes et Télécommunications et une résidence présidentielle viennent d’être livrés. Cinq kilomètres de rue sont également en voie de bitumage. Un nouveau château d’eau d’une capacité de 1000 mètres cubes a été construit, et on note enfin la mise en service d’une station régionale de télévision.

Le préfet du département ne trouve pas de termes assez forts pour exprimer son enchantement. La veille de la fête, il assure qu’en 1960, Abengourou n’était qu’un petit chef-lieu. Elle est devenue aujourd’hui « une grande ville dont l’étendue a faussé toutes les estimations. En 1963, poursuit-il, elle est devenue chef-lieu du département de la Côte d’ivoire. Par suite, elle a été dotée progressivement de toutes les structures administratives, économiques, scolaires et sociales qui lui étaient indispensables pour animer une très vaste région. Celle-ci, à son tour, s’est transformée »

  Cette dynamique de la métamorphose qu’évoque le préfet, tous les hôtes de la fête ont le sentiment qu’elle est appelée à se poursuivre après les flonflons. La construction d’Abengourou ne leur semble pas, en effet, achevée ; elle doit continuer. « Louables sont les efforts qui ont été réalisés dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme, lit-on dans un récit de Fraternité Matin, mais le tout donnait surtout une allure d’un travail inachevé : il faut souhaiter que la modernisation se poursuive et que, la fête finie, on ne se repose pas (…) On est revenu de la fête avec un air de satisfaction et surtout d’espoir, l’espoir de se dire que si le travail commencé s’achève, dans un an, Abengourou aura un visage de vraie capitale. »

     Un an après Abengourou, dans l’est de la Côte d’ivoire, c’est Man, dans l’ouest, qui doit prendre le relais. On parle de « /u fête à la montagne », par allusion au relief d’une région qui est la plus tourmentée du territoire national.

Ici aussi, l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance a été mise à profit pour construire une résidence du délégué du gouvernement, un hôtel, de nouveaux bureaux pour la préfecture et une trésorerie particulière.

La réalisation qui apparaît la plus fascinante aux yeux de tous est la mise en service d’un faisceau hertzien Abidjan-Bouaflé-Daloa-Man et d’un central téléphonique automatique de la ville de Man. Outre son importance pour les liaisons nationales, ce faisceau constitue l’amorce des futures liaisons internationales avec Monrovia et Dakar.

Man est donc doté d’un certain nombre d’équipements essentiels. Chaque propriétaire a tenu, en outre, à ce que la devanture de sa concession soit entièrement ravalée. Mais la ville, toute plate au pied de ses dix-huit élévations, n’a pas d’autre relief que naturel. Fraternité Matin prévient que « ceux qui effectueront le déplacement pour assister à la fête pourront donc goûter aux charmes de cette région qui est l ’une des garanties de notre tourisme naissant ». Et d’indiquer que, déjà la veille dans tous les quartiers, les danses folkloriques font entendre le battement des tambours, les chants des jeunes filles faisant pour leur part l’admiration de plus d’un auditeur.

Après le 7 août, Houphouët prolongera de 48 heures son séjour dans la région.  Il visite alors Gouessessou, Facobly et Biankouma, en compagnie de tout le gotha politique national, ainsi que des ambassadeurs de France et des États-Unis. Il voit plusieurs réalisations agricoles, notamment des rizières et des champs de maïs à Biankouma. A Gouessessou, il se rend à la maternité, au dispensaire, au centre social et au musée, après avoir arpenté le pont de liane tissé par la population sur la rivière Bafing.

Cette tournée sur le terrain, qui n’était pas son tout premier contact avec le pays de Man, ne peut que le sensibiliser à des perspectives d’investissement plus précises. Pourquoi ne pas penser par exemple qu’elle a nourri ses réflexions sur la politique nationale du tourisme qu’il lancera officiellement en 1970 ?

 Après « la fête à la montagne », c’est encore à l’ouest que tout le pays se donne rendez-vous : Gagnoa est la ville hôte des manifestations du 7 août 1970. La presse parle d’une vaste opération de construction et d’embellissement qui a littéralement transformé la ville en l’espace de quatre mois. Elle évoque même les « sept, merveilles de Gagnoa », pour designer la résidence présidentielle, l’hôtel Le fromager, le stade omnisports, l’avenue triomphale, le quartier de la Sogefîha, la cathédrale et les deux lacs artificiels que les invités admireront au cours d’un déjeuner champêtre.

L’inauguration du nouveau stade omnisports de la ville, le jeudi 6 août au matin, est l’un des événements phares de la fête, sans doute à cause du nom qui a été donné au complexe, celui de Victor Biaka Boda. La presse ne tarit pas de détails dans sa description de cette infrastructure. On y apprend que c’est un stade de catégorie C, comportant un terrain de football de dimensions réglementaires, gazonné, doté d’un système d’arrosage et circonscrit par une piste d’athlétisme olympique de 400 mètres.  La tribune principale couverte offre 750 places.  Une seconde tribune, elle aussi couverte, en offre 2000, alors que les pelouses peuvent recevoir 3000 personnes. Deux terrains de basket, un terrain de handball et un terrain de volley ont été construits dans la même enceinte. Les 80 millions de francs cfa qu’a coûtés cette réalisation constituent le premier investissement de cette importance jamais effectué à l’intérieur de la Côte d’ivoire depuis I960

In Félix Houphouët – Boigny : L’épreuve du pouvoir (1960- 1980) – Frédéric GRAH MEL – CERAP, KARTHALA – pp 413-417

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