FETES TOURNANTES ET CONSTRUCTION DES VILLES

   L’AVENEMENT DE LA FÊTE TOURNANTE

C’est un aide-mémoire non daté, présent dans les archives de la famille Sidibé, qui nous instruit sur le montage financier par lequel a démarré la construction de l’actuelle capitale politique de la Côte d’ivoire et surtout sur le rôle clé joué par Ladji Sidibé dans cette opération. Il y est écrit ceci :

« M. Ladji Sidibé, se portant fort au nom d’un certain nombre de planteurs de Yamoussoukro, a conclu avec la CFCI, avec la SCOA et avec la FAO, trois contrats avalisés par M. Houphouët-Boigny, portant sur 50 tonnes de café livrables à Abidjan en décembre 1956 et au plus tard le 31 janvier 1957 au cours alors pratiqué par la Caisse de Stabilisation du café de Côte d’ivoire, ou à défaut de cours pratiqué par la Caisse, aux cours du marché aux jours de livraison.

À valoir sur le prix du café à livrer, M. Ladji Sidibé a tiré sur chacun de ses acheteurs une traite de 3 500 000 francs dont la B AO a assuré l’escompte. Il en est résulté que M. Ladji Sidibé se trouve crédité à la B AO à Abidjan du montant net du produit de ces escomptes, soit une somme de 10 400 000 (environ).

Dès son arrivée à Abidjan, M. Ladji Sidibé fera virer ces 10 400 000 francs au compte de F Habitat Rural Africain, à la banque qui lui sera indiquée par M. Fombonne, en principe la B AO.

Ces 10 400 000francs sont destinés à créditer pour 100 000francs chacun, dans les écritures de l’Habitat Rural Africain, le compte de 104 planteurs de Yamoussoukro désireux de se faire construire une maison dans la 2ème tranche de travaux prévus au programme de la reconstruction du village.

M. Ladji Sidibé dressera, en accord avec M. Fombonne, la liste des 104 bénéficiaires de ces avances qui, pour être compris dans la liste, devront :

1/verser entre les mains de M. Ladji Sidibé ou de M. Fombonne une somme de 10 000francs qui permettra de porter à 110 000 leur crédit dans les écritures de l’Habitat Rural Africain

2/ souscrire l’engagement de livrer courant décembre 1957, la contre-valeur des 100 000 francs qui leur sont avancés, soit environ 1000 kg de café ; le poids exact du café à livrer devra être arrêté au moment de la livraison, compte tenu des cours alors pratiqués à Abidjan. »

Un post-scriptum joint à ce document nous apprend même que Ladji Sidibé avait payé de sa poche les premières contributions financières de la construction de Yamoussoukro.  Cet additif indique en effet que, « pour les souscripteurs de la 1ère tranche, à qui M.  Ladji Sidibé a personnellement avancé de l’argent pour leur permettre de régler leur annuité de 1956, l ‘occasion sera favorable de leur faire signer à eux aussi un contrat par lequel ils s’engagent à livrer à Abidjan, en décembre prochain, le poids de café correspondant ».

En 1964, Houphouët s’avise donc de prendre personnellement le relais de l’œuvre entamée neuf ans plus tôt par Ladji Sidibé. Quand il est à Yamoussoukro, c’est souvent que, dès 7 heures du matin, on le voit partir sur les divers chantiers du village à bord d’une Land-rover, vêtu d’une chemisette, jumelles au cou, et coiffé de ce « chapeau mou » par lequel le distinguera plus tard la plume caustique d’Ahmadou Kourouma.  Il ne cache pas qu’il veut faire de Yamoussoukro un village pilote dans la Côte d’ivoire indépendante. C’est peut-être dès cette époque qu’il porte ce rêve d’une ville aérée, verte et à échelle humaine, décrite en des termes d’une si touchante simplicité par son architecte Olivier-Clément Cacoub, cette ville sans gratte-ciel, sans industries polluantes, sans bidonvilles et sans énormes concentrations de populations, évoquée également par Jean-Noël Loucou, avec une justesse non moins émouvante.

    Comme à 1 époque où Ladji Sidibé conduisait les opérations, le président pense que les habitants de Yamoussoukro doivent être étroitement associés à l’entreprise. Et il les implique notamment dans la création d’une vaste retenue d’eau qui doit animer le cœur de la ville. Cet ouvrage doit être réalisé autour d’un minuscule marigot qui traverse le village de part en part, disparaissant en saison sèche et renaissant en saison pluvieuse pour nourrir, depuis la nuit des temps, un étang sacré.

L’idée d’Houphouët est de construire sur ce site dix barrages qui retiendraient les eaux et seraient autant de lacs. Il ne veut pas de béton coûteux, car la latérite imperméable peut suffire à la tâche. Comme il faut tout de même mobiliser un peu d’argent, il demande aux villageois d’abattre les arbres des rivages du marigot et de créer un champ collectif d’ignames, dont le produit doit entrer dans l’achat des graders nécessaires au pelletage. Deux millions de mètres cubes d’eau seront ainsi retenus.  Les usages qu’il en sera fait ne manqueront pas, de l’irrigation des maraîchers aux lacs d’agrément, en passant par les baignades et la pêche.

Produisant parfois l’expérience de la retenue d’eau de son village, Houphouët affirme vouloir que chaque sous-préfecture puisse ainsi, par l’effort de ses habitants, financer l’achat d’un engin.  Dans aucun village, la mise en valeur d’un champ collectif n’est hors de portée des habitants. Il recommande que partout les coopératives le fassent pour mobiliser de l’argent, en vue de la transformation du cadre de vie de tout le pays rural ivoirien. On sait ce qu’il en a été de Yamoussoukro au fil du temps.  Dès 1964, s’ajoutent aux coquettes demeures verdoyantes implantées par l’action de Ladji Sidibé, mille autres réalisations agréables. Il suffirait de citer deux exemples : la petite chapelle Saint Augustin du village, rénovée en 1964 dans une direction qui doit lui permettre d’être, avec ses colonnades extérieures, un modèle réduit de l’église de la Madeleine à Paris, et la mosquée, sortie de terre la même année au quartier dioula, conçue pour être plus imposante que celle de Bouaké dont elle est, avec ses minarets carrés, la rivale architecturale.

    Korhogo connaîtra-t-il, à la fête nationale de 1965, un meilleur sort que Bouaké en 1964 ? En quelques mois, témoigne Ousmane Kéita dans ses reportages de Fraternité Matin, l’agglomération a pris le visage d’une ville qui n’a rien à envier aux autres. « Les nombreuses cases d’il y a cinq ans et les rues étriquées ont disparu pour faire place à des villas, des maisons en dur et des rues spacieuses. »

Un quartier entier a été créé de toutes pièces, le quartier de Soba. C’est là que descendront les hôtes de la ville. Un hôtel flambant neuf y a été implanté. Une villa luxueuse, baptisée la Villa du Mont Korhogo ou encore la Villa du Parti, se dresse désormais dans les environs de la Résidence des hôtes de marque du nord. À un pas de là, vient de surgir un petit village d’une soixantaine de toits, conçus dans le style des cases rondes de la région, mais équipés de tout le confort des habitations modernes. C’est à Soba que doit se dérouler le grand défilé de la fête.  Pour cette raison, l’artère principale du quartier a été aménagée comme un vaste boulevard, épargné des méfaits de la latérite par le bitume.

Si la toilette de la ville a frappé Laurent Dona Fologo, fils du nord comme Ousmane Kéita, ce n’est pas à cela seulement qu’il s’arrête. « A Korhogo, ajoute-t-il, nous avons découvert les progrès dans l’agriculture où le coton le dispute au tabac, où le riz, grâce aux méthodes nouvelles et modernes, s ’impose en maître. La vaste savane, jadis séchée et découverte, est désormais empreinte de cette indéniable évolution : partout maisons blanches aux tôles éclatantes indiquant le progrès dans l’enseignement ; là, maîtres et élèves se pressent chaque jour. Bientôt ces écoles ne pourront plus les contenir. La savane entière est devenue verte car les feux de brousse ont été interdits. Korhogo est devenue une autre ville. »

  Et Fologo d’entonner le couplet que lui imposent les responsabilités de directeur de la rédaction d’un journal gouvernemental : « On entend souvent certains de nos censeurs, au verbe facile, soutenir : “le développement de la CI s’arrête à sa capitale, Abidjan”, voulant ainsi jeter sur nos dirigeants quelque discrédit (…) Quand on a connu, il y a encore moins de cinq ans, cette vaste savane où seuls le mil, le maïs et quelques rizières permettaient à peine de nourrir une population pourtant très travailleuse et vivant dans des paillotes à la merci de l’incendie de brousse, quand on a connu ce flot d’enfants dont la seule condition était l’ignorance et la crainte de la maladie, on ne peut aujourd’hui,  en  la  revoyant,  demeurer sans rendre hommage à  la grande œuvre constructive du Président Houphouët-Boigny et de son équipe. »

La fête nationale elle-même sera marquée par la présence, pour la première fois dans cette manifestation, du président de la Haute-Volta, Maurice Yaméogo. Il est accompagné par un contingent de trois cents soldats voltaïques qui prendront part au défilé, soulevant l’admiration de milliers de spectateurs.

In Félix Houphouët – Boigny : L’épreuve du pouvoir (1960- 1980) – Frédéric GRAH MEL – CERAP, KARTHALA – pp 409-412  

Articles Similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *