PART 3 : CONCEPTION ET CARACTERISTIQUES DE L’EDIFICE
Dans la capitale mauritanienne qui n’était alors qu’un gros village, c’est sous des tentes qu’ils avaient été reçus à déjeuner. Il leur avait été fortement conseillé de s’entourer la tête de turbans protecteurs, ce qu’Houphouët avait fait. Et c’était à même les doigts qu’ils avaient dégusté les méchouis et le pain. A Monrovia, ils goûtent au luxe d’un autre décor et aux délices d’un autre service. Et dès cette nuit, sa religion est faite : Abidjan doit avoir un établissement de cette nature, mais en plus grand et en plus beau.
Outre le Ducor Intercontinental Hôtel où il était descendu, il avait également aperçu, au passage, deux autres édifices remarquables de Monrovia, l’hôtel de ville et le temple maçonnique. Les trois immeubles se ressemblaient par leur envergure, leur profil, leurs colonnades et leurs lignes. À vue d’œil ils portaient la même griffe, ils ne pouvaient être que les œuvres d’un même homme. Le président ivoirien, impressionné par des constructions aussi élégantes, avait demandé à son homologue William Tubman de lui en présenter l’entrepreneur.
Ce dernier était lié au président du Liberia par une amitié ancienne, qui se nourrissait d’une admiration et d’une confiance mutuelles remarquables. Est-il gratuit que le même homme ait eu à réaliser trois des plus importants chantiers immobiliers du Liberia, après l’accession de ce pays à la souveraineté nationale en 1947, sous le leadership de William Tubman ? Voici les termes par lesquels l’entrepreneur écrivait au chef d’État le 31 décembre 1959, pour 1 assurer de son dévouement total : « Il faudra bien plus que l’eau et le feu, mon frère, pour ébranler notre détermination à réaliser ce qui nous apparaît comme le meilleur Pour vous. » William Tubman lui renverrait l’ascenseur en ordonnant, dans une déclaration en date du 2 janvier I960, que Moshe May fût pris désormais pont un Libérien d’origine israélienne…
Du haut de ses huit étages, les lignes du Ducor Intercontinental Hotel de Monrovia, son profil, ses ouvertures sont la préfiguration de ce que sera I’Intercontinental hôtel Ivoire d’Abidjan. Mais Houphouët n’avait pas oublié sa réaction du 28 novembre 1960 : que I’immeuble de Côte d’ivoire soit meilleur à tous égards, qu’il soit plus grand, plus beau, plus impressionnant ! Mayer avait transmis ces instructions à « (son) cher ami M. Haïm Fenchel, ce grand architecte qui nous a guidés de son génie ». C’est ainsi que les travaux avaient pu commencer, dans le courant de l’année 1961.
L’expertise israélienne, visible à travers l’entrepreneur et l’architecte de l’hôtel Ivoire, l’était également à travers « M. ZviMiller, architecte paysagiste », à qui le nouvel établissement devait la conception de « ce parc splendide ». En ce qui concernait les autres intervenants, Moshe Mayer citerait, à la soirée du 7 septembre 1963, les noms des « excellents dirigeants et ingénieurs MM. Engler et Vexler pour leur travail acharné et dévoué ». Il remercierait « l’administrateur M. Gunemer » et les « ingénieurs Pelled et Geller», et adresserait de vives félicitations à « M. Mueller Schiedmeyer et son équipe pour l’excellent travail accompli dans cet hôtel ».
Comment avait été réalisé le montage financier ? Un accord d’association avait été signé entre les frères Mayer et le gouvernement ivoirien pour financer les travaux, avec une participation de moitié pour chaque partie. Et le gouvernement de l’État d’Israël avait accepté de seconder la partie ivoirienne en lui octroyant un prêt d’environ 370 millions de francs CFA pour faciliter le financement de sa part.
Les données ne changeraient pas fondamentalement lorsqu’en mars 1967, trois ans et demi après l’ouverture de l’hôtel Ivoire, le gouvernement d’Abidjan déciderait de procéder à une extension des bâtiments de l’établissement. Ce serait Moshe Mayer qui serait à nouveau le maître d’œuvre, avec le même architecte Haïm Fenchel. Les travaux de construction de la seconde tranche ne devaient durer qu’un an et demi, la réception de ce qu’on appelait déjà « la tour » étant prévue pour le mois d’octobre 1968.
C’était d’abord le terrain situé à l’aile gauche de la première tranche, près de l’actuel supermarché, qui avait été pressenti pour abriter la nouvelle construction. On imaginait un ensemble équilibré, dans lequel le bowling et le Pavillon donneraient une allure harmonieuse aux deux immeubles. La direction de l’hôtel fit valoir des arguments techniques et esthétiques pour justifier le choix de l’aile droite. Elle insista notamment sur la beauté du site et la possibilité qu’il offrait d’avoir un meilleur panorama de la ville.
Nous voici au jeudi 19 octobre 1967, sept mois après le début des travaux. À l’occasion d’une visite du chantier qu’effectue ce jour-là le ministre délégué à la Construction et à l’Urbanisme, Goly Kouassi, la presse fait état de la construction d’une tour hôtel de 108 m de haut, d’une galerie de 70 m, d’un lac artificiel, d’une patinoire à glace, d’un casino, de parkings et d’espaces verts, le tout sur une superficie de 18 000 m2.
Le ministre lui-même, après sa visite, annonce que la nouvelle tranche de l’hôtel Ivoire comprendra « 30 étages, dont 21 occupés par 260 chambres. Au 22ème et 23ème, poursuit – il, il y aura des salles de réception, des night clubs et quelques restaurants. Un observatoire dominera le tout. Il permettra d’avoir de beaux panoramas et même de procéder à quelques expériences ». Il signale qu’au bas de la tour, s’étendra un lac artificiel de 7000 m² tout de béton armé, comportant une plage en sable fin ? Une piscine profonde pour la natation. (…) L’eau du lac sera constamment renouvelée et purifiée grâce à une station de régénérateur ».
Pour en finir avec les détails techniques, Goly Kouassi repousse l’achèvement des travaux au mois de décembre 1968, expliquant que le rythme de progression est de cinq étages construits par mois. Et il précise : « 250 personnes reparties en deux équipes de relais travaillent nuit et jour pour tenir cette gageure. »
La dernière information majeure donnée par le ministre porte sur le financement de l’immeuble. Il est assuré, confie-t-il, pour un tiers par le gouvernement ivoirien, pour un tiers par un prêt du gouvernement israélien, et pour la dernière partie par un apport privé.
C’était Moshe Mayer que le ministre désignait par cette litote, comme le ferait savoir la presse ivoirienne une trentaine d’années plus tard : « L’hôtel Ivoire est devenu propriété ivoirienne le 17 février 1979, lit-on dans Le Populaire nouvelle formule du 5 février 1999. L’Etat venait ce jour-là de racheter les parts de l’homme d’affaires israélien Moshe Mayer qui représentaient 60 % du capital qui est aujourd’hui des 7,140 milliards de FCFA. »
Quatre années après la mise en service de la tour, l’hôtel Ivoire prend sa configuration actuelle avec la construction, en 1972, d’un palais des congrès d’une capacité de 2000 places. Dès lors, on parle d’un véritable « village Ivoire», qui s’étale sur 15 hectares et emploie 769 salariés.
La photographie définitive du réceptif présente deux bâtiments dont le premier se déploie sur 14 étages, et le second sur 25. Les chambres sont au nombre de 635 réparties ainsi : 150 singles, 218 doubles, 206 twins, 20 suites junior, 36 suites standard, 4 suites présidentielles et 1 suite nuptiale. Spacieuses, aérées et agrandies par des balcons, elles sont toutes équipées de postes de télévision couleur, vide, de téléphone, et disposent d’une climatisation centrale avec réglage individuel, d’une salle de bain et d’un mini – bar. Si le plancher est revêtu de moquette, les sanitaires sont carrelés et pourvus de tout le confort moderne.
L’hôtel Ivoire compte par ailleurs cinq restaurants (le toit d’Abidjan, la Trattoria pili-pili, les 4 coins du monde, le Pavillon et le snackarama), trois bars (le Petit boulevard, le Rendez -vous bar, le bar de la tour), et treize salles de réunions et conférences (le Palais des congrès, les foyers 1 et 2, le San Pedro, le coup de fusil, le chandelier lagune, les salles Canari, Bassam, Kossou, Cosmos, Balafon, Colloque, et la Salle des fêtes). Les loisirs y sont enfin garantis, à travers une salle de cinéma et un complexe sportif comprenant onze courts de tennis, une patinoire, deux piscines et un bowling.
In L’EPREUVE DU POUVOIR : La construction de la Côte d’Ivoire (1960-1993) – Chapitre 17 : une couchette pour les investisseurs : l’hôtel Ivoire – pp.357-361
PART 3 : CONCEPTION ET CARACTERISTIQUES DE L’EDIFICE
Dans la capitale mauritanienne qui n’était alors qu’un gros village, c’est sous des tentes qu’ils avaient été reçus à déjeuner. Il leur avait été fortement conseillé de s’entourer la tête de turbans protecteurs, ce qu’Houphouët avait fait. Et c’était à même les doigts qu’ils avaient dégusté les méchouis et le pain. A Monrovia, ils goûtent au luxe d’un autre décor et aux délices d’un autre service. Et dès cette nuit, sa religion est faite : Abidjan doit avoir un établissement de cette nature, mais en plus grand et en plus beau.
Outre le Ducor Intercontinental Hôtel où il était descendu, il avait également aperçu, au passage, deux autres édifices remarquables de Monrovia, l’hôtel de ville et le temple maçonnique. Les trois immeubles se ressemblaient par leur envergure, leur profil, leurs colonnades et leurs lignes. À vue d’œil ils portaient la même griffe, ils ne pouvaient être que les œuvres d’un même homme. Le président ivoirien, impressionné par des constructions aussi élégantes, avait demandé à son homologue William Tubman de lui en présenter l’entrepreneur.
Ce dernier était lié au président du Liberia par une amitié ancienne, qui se nourrissait d’une admiration et d’une confiance mutuelles remarquables. Est-il gratuit que le même homme ait eu à réaliser trois des plus importants chantiers immobiliers du Liberia, après l’accession de ce pays à la souveraineté nationale en 1947, sous le leadership de William Tubman ? Voici les termes par lesquels l’entrepreneur écrivait au chef d’État le 31 décembre 1959, pour 1 assurer de son dévouement total : « Il faudra bien plus que l’eau et le feu, mon frère, pour ébranler notre détermination à réaliser ce qui nous apparaît comme le meilleur Pour vous. » William Tubman lui renverrait l’ascenseur en ordonnant, dans une déclaration en date du 2 janvier I960, que Moshe May fût pris désormais pont un Libérien d’origine israélienne…
Du haut de ses huit étages, les lignes du Ducor Intercontinental Hotel de Monrovia, son profil, ses ouvertures sont la préfiguration de ce que sera I’Intercontinental hôtel Ivoire d’Abidjan. Mais Houphouët n’avait pas oublié sa réaction du 28 novembre 1960 : que I’immeuble de Côte d’ivoire soit meilleur à tous égards, qu’il soit plus grand, plus beau, plus impressionnant ! Mayer avait transmis ces instructions à « (son) cher ami M. Haïm Fenchel, ce grand architecte qui nous a guidés de son génie ». C’est ainsi que les travaux avaient pu commencer, dans le courant de l’année 1961.
L’expertise israélienne, visible à travers l’entrepreneur et l’architecte de l’hôtel Ivoire, l’était également à travers « M. ZviMiller, architecte paysagiste », à qui le nouvel établissement devait la conception de « ce parc splendide ». En ce qui concernait les autres intervenants, Moshe Mayer citerait, à la soirée du 7 septembre 1963, les noms des « excellents dirigeants et ingénieurs MM. Engler et Vexler pour leur travail acharné et dévoué ». Il remercierait « l’administrateur M. Gunemer » et les « ingénieurs Pelled et Geller», et adresserait de vives félicitations à « M. Mueller Schiedmeyer et son équipe pour l’excellent travail accompli dans cet hôtel ».
Comment avait été réalisé le montage financier ? Un accord d’association avait été signé entre les frères Mayer et le gouvernement ivoirien pour financer les travaux, avec une participation de moitié pour chaque partie. Et le gouvernement de l’État d’Israël avait accepté de seconder la partie ivoirienne en lui octroyant un prêt d’environ 370 millions de francs CFA pour faciliter le financement de sa part.
Les données ne changeraient pas fondamentalement lorsqu’en mars 1967, trois ans et demi après l’ouverture de l’hôtel Ivoire, le gouvernement d’Abidjan déciderait de procéder à une extension des bâtiments de l’établissement. Ce serait Moshe Mayer qui serait à nouveau le maître d’œuvre, avec le même architecte Haïm Fenchel. Les travaux de construction de la seconde tranche ne devaient durer qu’un an et demi, la réception de ce qu’on appelait déjà « la tour » étant prévue pour le mois d’octobre 1968.
C’était d’abord le terrain situé à l’aile gauche de la première tranche, près de l’actuel supermarché, qui avait été pressenti pour abriter la nouvelle construction. On imaginait un ensemble équilibré, dans lequel le bowling et le Pavillon donneraient une allure harmonieuse aux deux immeubles. La direction de l’hôtel fit valoir des arguments techniques et esthétiques pour justifier le choix de l’aile droite. Elle insista notamment sur la beauté du site et la possibilité qu’il offrait d’avoir un meilleur panorama de la ville.
Nous voici au jeudi 19 octobre 1967, sept mois après le début des travaux. À l’occasion d’une visite du chantier qu’effectue ce jour-là le ministre délégué à la Construction et à l’Urbanisme, Goly Kouassi, la presse fait état de la construction d’une tour hôtel de 108 m de haut, d’une galerie de 70 m, d’un lac artificiel, d’une patinoire à glace, d’un casino, de parkings et d’espaces verts, le tout sur une superficie de 18 000 m2.
Le ministre lui-même, après sa visite, annonce que la nouvelle tranche de l’hôtel Ivoire comprendra « 30 étages, dont 21 occupés par 260 chambres. Au 22ème et 23ème, poursuit – il, il y aura des salles de réception, des night clubs et quelques restaurants. Un observatoire dominera le tout. Il permettra d’avoir de beaux panoramas et même de procéder à quelques expériences ». Il signale qu’au bas de la tour, s’étendra un lac artificiel de 7000 m² tout de béton armé, comportant une plage en sable fin ? Une piscine profonde pour la natation. (…) L’eau du lac sera constamment renouvelée et purifiée grâce à une station de régénérateur ».
Pour en finir avec les détails techniques, Goly Kouassi repousse l’achèvement des travaux au mois de décembre 1968, expliquant que le rythme de progression est de cinq étages construits par mois. Et il précise : « 250 personnes reparties en deux équipes de relais travaillent nuit et jour pour tenir cette gageure. »
La dernière information majeure donnée par le ministre porte sur le financement de l’immeuble. Il est assuré, confie-t-il, pour un tiers par le gouvernement ivoirien, pour un tiers par un prêt du gouvernement israélien, et pour la dernière partie par un apport privé.
C’était Moshe Mayer que le ministre désignait par cette litote, comme le ferait savoir la presse ivoirienne une trentaine d’années plus tard : « L’hôtel Ivoire est devenu propriété ivoirienne le 17 février 1979, lit-on dans Le Populaire nouvelle formule du 5 février 1999. L’Etat venait ce jour-là de racheter les parts de l’homme d’affaires israélien Moshe Mayer qui représentaient 60 % du capital qui est aujourd’hui des 7,140 milliards de FCFA. »
Quatre années après la mise en service de la tour, l’hôtel Ivoire prend sa configuration actuelle avec la construction, en 1972, d’un palais des congrès d’une capacité de 2000 places. Dès lors, on parle d’un véritable « village Ivoire», qui s’étale sur 15 hectares et emploie 769 salariés.
La photographie définitive du réceptif présente deux bâtiments dont le premier se déploie sur 14 étages, et le second sur 25. Les chambres sont au nombre de 635 réparties ainsi : 150 singles, 218 doubles, 206 twins, 20 suites junior, 36 suites standard, 4 suites présidentielles et 1 suite nuptiale. Spacieuses, aérées et agrandies par des balcons, elles sont toutes équipées de postes de télévision couleur, vide, de téléphone, et disposent d’une climatisation centrale avec réglage individuel, d’une salle de bain et d’un mini – bar. Si le plancher est revêtu de moquette, les sanitaires sont carrelés et pourvus de tout le confort moderne.
L’hôtel Ivoire compte par ailleurs cinq restaurants (le toit d’Abidjan, la Trattoria pili-pili, les 4 coins du monde, le Pavillon et le snackarama), trois bars (le Petit boulevard, le Rendez -vous bar, le bar de la tour), et treize salles de réunions et conférences (le Palais des congrès, les foyers 1 et 2, le San Pedro, le coup de fusil, le chandelier lagune, les salles Canari, Bassam, Kossou, Cosmos, Balafon, Colloque, et la Salle des fêtes). Les loisirs y sont enfin garantis, à travers une salle de cinéma et un complexe sportif comprenant onze courts de tennis, une patinoire, deux piscines et un bowling.
In L’EPREUVE DU POUVOIR : La construction de la Côte d’Ivoire (1960-1993) – Chapitre 17 : une couchette pour les investisseurs : l’hôtel Ivoire – pp.357-361