Le rez-de-chaussée est constitué de vastes espaces pourvus de séjours aux fauteuils confortables, tout droit importés d’Israël ou de Grande-Bretagne. Des vitres immenses, bordant la grande salle de l’entrée principale, là où se trouve la réception, y garantissent la présence de la lumière du jour. Une longue galerie débouchant là, interrompue en son milieu par un agréable patio, est longée de part et d’autre par des cellules prévues pour devenir des boutiques. Elles doivent accueillir un tabac-journaux, un coiffeur de classe, une banque, un bureau de change, une agence de voyage, un local de curiosités de luxe, des exclusivités.
En quittant ces commerces, le visiteur a le choix entre deux directions, l’une vers le bas, l’autre vers le haut. Il peut descendre à la piscine et à son restaurant en traversant un jardin couvert, d’où il peut, s’il est curieux, découvrir un forage particulier qui doit fournir à l’établissement quelque 50 m d’eau à l’heure. Réceptionnée dans trois citernes, cette eau doit être aseptisée avant utilisation.
Le visiteur peut également, du rez-de-chaussée, s’orienter vers des ascenseurs à commandes électroniques, et accéder à des étages où les chambres et les appartements offrent tous, à leurs clients, une salle de bain, un téléphone, la radio. La télévision faisait alors ses premiers pas en Côte d’Ivoire. C’était une technologie encore assez mal maîtrisée pour figurer aisément au nombre des commodités individuelles. Son absence était compensée par le jardin suspendu auquel donnaient accès les 12 et 13 étages, et d’où l’on pouvait avoir vue, à 84 mètres au – dessus du niveau de la mer, sur le plus beau panorama d’Abidjan, de son port et de ses plans d’eau. Ce jardin suspendu voisinait avec un night – club et son grill – room.
L’établissement avait été officiellement inauguré dans la soirée du samedi 7 septembre 1963. Replongeons quelques instants dans l’ambiance de l’événement. C’est devant une double haie de gardes rouges, sabre au clair, que le président Houphouët-Boigny descend de voiture à 20h30, sur le perron de l’immeuble. On le remarque au grand cordon orange de l’Ordre national qu’il porte en bandoulière, sous son élégante tenue. La très gracieuse Thérèse se tient à ses côtés, vêtue d’une élégante robe de soirée à la tonalité vert clair. Dès qu’ils posent le pied au sol, l’hymne national de Côte d’ivoire se met à retentir, et les dizaines de personnalités qui avaient afflué sur le parvis se figent droit, pour voir hisser les couleurs.
Le président de la République coupe ensuite un ruban symbolique à l’entrée principale de l’édifice, puis il prend place là pour accueillir les invites. Ce sont des dizaines et des dizaines de mains que son épouse et lui doivent alors serrer, car toute la classe politique nationale est présente ce soir, à l’exception des malheureux qui ont été fauchés par le cortège des délations, dans le cadre des « complots » de cette terrible année 1963. On remarque notamment et évidemment les présidents des trois grandes institutions nationales qui se positionnent juste après la présidence de la République : celui de T Assemblée nationale, Philippe Yacé, celui de la Cour suprême, Alphonse Boni, celui du Conseil économique et social, Mamadou Coulibaly, ainsi que leurs épouses. Au premier rang du gouvernement présent au grand complet, se tient le ministre d’État Auguste Denise. Les parlementaires, les membres du Conseil économique et social, les hauts fonctionnaires et les représentants les plus en vue du milieu des affaires se sont tous disputé l’honneur d’être témoins de cette soirée.
Une fois toutes ces personnalités entrées dans le hall, une visite du rez -de-chaussée leur permet d’admirer les somptueux salons et leurs tapis rutilants, les vastes enceintes vitrées et leurs ravissantes tentures, la terrasse verdoyante et ses jeux d’eau rafraîchissants. Puis ces hôtes de marque sont invités à accéder à la Salle des fêtes, où les attend un dîner de trois cents couverts.
Si le corps diplomatique, massivement accouru lui aussi à cette soirée, est visible à travers la personne de son doyen, l’ambassadeur de France Jacques Raphaël-Leygues, c’est cependant l’ambassadeur d’Israël, Hagaï Dikan, qui est l’Excellence le plus à l’honneur, dans une cérémonie où son pays est en effet hissé sur le pinacle. Le gouvernement d’Israël est d’ailleurs représenté par le maire de Jérusalem Isha Shalom. Et ce dernier n’est pas venu seul à Abidjan mais en compagnie d’une forte délégation d’« hommes d’affaires et de techniciens de l’État ami d’Israël ». Le président Houphouët citera dans son allocution, le nom de Moshe Mayer, celui de son épouse et ceux de ses deux frères Benjamin et Mordechaï. Il citera également le nom de l’architecte Haïrn Fenchel, et saluera au passage la mémoire de l’ingénieur Joseph Wolberg, décédé avant la fin du chantier. Il remettra ce soir-là la plus haute distinction de l’Ordre national ivoirien, la grand- croix, au président Moshe Mayer, et les insignes de Grand officier à Mme Mayer et à ses beaux-frères.
Ce n’est pas par hasard qu’il en est ainsi. Le palace hôtel qui domine toute la ville d’Abidjan depuis la colline de Cocody sur laquelle il se dresse fièrement est un ouvrage qu’Israël a marqué de son empreinte de bout en bout. L’entrepreneur et l’architecte, le paysagiste et les ingénieurs du chantier, l’administration et les décorateurs, tous ces opérateurs étaient israéliens. Il n’était pas jusqu’au montage financier dans lequel Israël n’ait eu à jouer un rôle de premier plan.
C’est la Mayer Investment Corporation Limited de Tel Aviv qui avait été attributaire du marché. Houphouët en avait rencontré le président, Moshe Mayer, par le truchement de son homologue du Liberia William Tubman. Quand et comment ? Le 28 novembre 1960, alors qu’il rentrait tard de Nouakchott où il avait pris part au’ cérémonies marquant l’indépendance de la Mauritanie, la tombée de nuit l’oblige à une escale imprévue à Monrovia, et toute la délégation qui l’accompagne est logée au Ducor International Hôtel.
In L’EPREUVE DU POUVOIR : La construction de la Côte d’Ivoire (1960-1993) – Chapitre 17 :une couchette pour les investisseurs : l’hôtel Ivoire – pp.354-357
L’inauguration du joyau
Le rez-de-chaussée est constitué de vastes espaces pourvus de séjours aux fauteuils confortables, tout droit importés d’Israël ou de Grande-Bretagne. Des vitres immenses, bordant la grande salle de l’entrée principale, là où se trouve la réception, y garantissent la présence de la lumière du jour. Une longue galerie débouchant là, interrompue en son milieu par un agréable patio, est longée de part et d’autre par des cellules prévues pour devenir des boutiques. Elles doivent accueillir un tabac-journaux, un coiffeur de classe, une banque, un bureau de change, une agence de voyage, un local de curiosités de luxe, des exclusivités.
En quittant ces commerces, le visiteur a le choix entre deux directions, l’une vers le bas, l’autre vers le haut. Il peut descendre à la piscine et à son restaurant en traversant un jardin couvert, d’où il peut, s’il est curieux, découvrir un forage particulier qui doit fournir à l’établissement quelque 50 m d’eau à l’heure. Réceptionnée dans trois citernes, cette eau doit être aseptisée avant utilisation.
Le visiteur peut également, du rez-de-chaussée, s’orienter vers des ascenseurs à commandes électroniques, et accéder à des étages où les chambres et les appartements offrent tous, à leurs clients, une salle de bain, un téléphone, la radio. La télévision faisait alors ses premiers pas en Côte d’Ivoire. C’était une technologie encore assez mal maîtrisée pour figurer aisément au nombre des commodités individuelles. Son absence était compensée par le jardin suspendu auquel donnaient accès les 12 et 13 étages, et d’où l’on pouvait avoir vue, à 84 mètres au – dessus du niveau de la mer, sur le plus beau panorama d’Abidjan, de son port et de ses plans d’eau. Ce jardin suspendu voisinait avec un night – club et son grill – room.
L’établissement avait été officiellement inauguré dans la soirée du samedi 7 septembre 1963. Replongeons quelques instants dans l’ambiance de l’événement. C’est devant une double haie de gardes rouges, sabre au clair, que le président Houphouët-Boigny descend de voiture à 20h30, sur le perron de l’immeuble. On le remarque au grand cordon orange de l’Ordre national qu’il porte en bandoulière, sous son élégante tenue. La très gracieuse Thérèse se tient à ses côtés, vêtue d’une élégante robe de soirée à la tonalité vert clair. Dès qu’ils posent le pied au sol, l’hymne national de Côte d’ivoire se met à retentir, et les dizaines de personnalités qui avaient afflué sur le parvis se figent droit, pour voir hisser les couleurs.
Le président de la République coupe ensuite un ruban symbolique à l’entrée principale de l’édifice, puis il prend place là pour accueillir les invites. Ce sont des dizaines et des dizaines de mains que son épouse et lui doivent alors serrer, car toute la classe politique nationale est présente ce soir, à l’exception des malheureux qui ont été fauchés par le cortège des délations, dans le cadre des « complots » de cette terrible année 1963. On remarque notamment et évidemment les présidents des trois grandes institutions nationales qui se positionnent juste après la présidence de la République : celui de T Assemblée nationale, Philippe Yacé, celui de la Cour suprême, Alphonse Boni, celui du Conseil économique et social, Mamadou Coulibaly, ainsi que leurs épouses. Au premier rang du gouvernement présent au grand complet, se tient le ministre d’État Auguste Denise. Les parlementaires, les membres du Conseil économique et social, les hauts fonctionnaires et les représentants les plus en vue du milieu des affaires se sont tous disputé l’honneur d’être témoins de cette soirée.
Une fois toutes ces personnalités entrées dans le hall, une visite du rez -de-chaussée leur permet d’admirer les somptueux salons et leurs tapis rutilants, les vastes enceintes vitrées et leurs ravissantes tentures, la terrasse verdoyante et ses jeux d’eau rafraîchissants. Puis ces hôtes de marque sont invités à accéder à la Salle des fêtes, où les attend un dîner de trois cents couverts.
Si le corps diplomatique, massivement accouru lui aussi à cette soirée, est visible à travers la personne de son doyen, l’ambassadeur de France Jacques Raphaël-Leygues, c’est cependant l’ambassadeur d’Israël, Hagaï Dikan, qui est l’Excellence le plus à l’honneur, dans une cérémonie où son pays est en effet hissé sur le pinacle. Le gouvernement d’Israël est d’ailleurs représenté par le maire de Jérusalem Isha Shalom. Et ce dernier n’est pas venu seul à Abidjan mais en compagnie d’une forte délégation d’« hommes d’affaires et de techniciens de l’État ami d’Israël ». Le président Houphouët citera dans son allocution, le nom de Moshe Mayer, celui de son épouse et ceux de ses deux frères Benjamin et Mordechaï. Il citera également le nom de l’architecte Haïrn Fenchel, et saluera au passage la mémoire de l’ingénieur Joseph Wolberg, décédé avant la fin du chantier. Il remettra ce soir-là la plus haute distinction de l’Ordre national ivoirien, la grand- croix, au président Moshe Mayer, et les insignes de Grand officier à Mme Mayer et à ses beaux-frères.
Ce n’est pas par hasard qu’il en est ainsi. Le palace hôtel qui domine toute la ville d’Abidjan depuis la colline de Cocody sur laquelle il se dresse fièrement est un ouvrage qu’Israël a marqué de son empreinte de bout en bout. L’entrepreneur et l’architecte, le paysagiste et les ingénieurs du chantier, l’administration et les décorateurs, tous ces opérateurs étaient israéliens. Il n’était pas jusqu’au montage financier dans lequel Israël n’ait eu à jouer un rôle de premier plan.
C’est la Mayer Investment Corporation Limited de Tel Aviv qui avait été attributaire du marché. Houphouët en avait rencontré le président, Moshe Mayer, par le truchement de son homologue du Liberia William Tubman. Quand et comment ? Le 28 novembre 1960, alors qu’il rentrait tard de Nouakchott où il avait pris part au’ cérémonies marquant l’indépendance de la Mauritanie, la tombée de nuit l’oblige à une escale imprévue à Monrovia, et toute la délégation qui l’accompagne est logée au Ducor International Hôtel.
In L’EPREUVE DU POUVOIR : La construction de la Côte d’Ivoire (1960-1993) – Chapitre 17 :une couchette pour les investisseurs : l’hôtel Ivoire – pp.354-357