S’il est un sujet sur lequel Houphouët, durant toute sa vie, a fait preuve de la plus grande transparence, la plus grande constance, la plus grande vigueur, c’est la nécessité de l’ouverture aux autres pour assurer notre propre épanouissement. Les autres, à ses yeux, étaient loin d’être l’enfer ; ils étaient le salut.
Certes, il lui était arrivé parfois de grincer des dents devant certaines distorsions de l’assistance extérieure. On peut rappeler par exemple le dépit qu’il avait éprouvé en 1960 à rembourser la totalité des dettes ivoiriennes de 1957, 1956 et 1955. « Nous les réglerons également, se plaignait-il, bien que nous sachions tous qu’elles sont le fruit de dépenses souvent incontrôlées de l’administration d’antan. »
Malgré quelques bémols de cette nature, jamais rien ne put détourner l’homme d’une conviction qui était solidement ancrée en lui. N’y avait-il pas un véritable credo chez le jeune homme qui se donnait pour un « petit neveu de sanguinaires roitelets nègres », louait les maîtres français de lui avoir appris à l’école le devoir de l’homme envers ses semblables, et se réjouissait que la France l’ait sorti « du fin fond de (sa) sauvage brousse Akoué », pour le jeter sur le dur chemin de l’évolution ? Le diagnostic d’une culture africaine plutôt barbare l’inclinait à penser, déjà tout jeune, que les siens ne pouvaient exister ni culturellement, ni socialement, ni économiquement, ni même politiquement, sans le recours de l’aide extérieure.
Cette conviction ; il l’avait élargie plus tard aux dimensions de la communauté des hommes. Un temps était arrivé où, par – delà l’horizon de son milieu culturel, il ne professait plus que l’interdépendance naturelle des peuples. En septembre 1957, on n’est guère surpris de voir le second congrès RDA de Bamako adopter une motion dans laquelle on peut lire que « l’indépendance est un droit, mais l’interdépendance est la règle d’or des peuples du 20ème siècle ».
Cette idée serait étrangère à Houphouët ? L’homme ne portait pas le masque six mois plus tôt, en recevant à Abidjan des parlementaires européens qui menaient une mission d’information sur le continent africain. Devant ces hôtes, il avait décidé de ne point cacher sa crainte d’un avenir de misère dans une Afrique noire délaissée par l’Europe. « Laisser l’Afrique noire livrée à ses seuls moyens économiques, dans une indépendance illusoire, sans contenu humain et social appréciable, soutenait-il, c’est laisser s’y perpétrer la misère, misère que d’autres s’emploieraient à exploiter à des fins qui ne serviraient ni à l’Afrique ni à l’Europe. »
Il reconnaissait, certes, que les sacrifices exigés des Européens seraient au-dessus des bénéfices qu’ils retireraient des territoires africains. Mais cela ne serait vrai, relativisait-il, que dans les premières années. Il était convaincu qu’à terme, les sacrifices des Européens seraient payants, même sur le plan strictement économique. « Vous avez bien voulu admettre l’association des pays et territoires d’outre- mer au Marché commun, argumentait-il. Loin de vous associer au renouveau d’un pacte colonial, vous allez au contraire, grâce à votre compréhension, à votre concours financier, économique, technique, contribuer à la réalisation d’une communauté unique, sans précédent dans le monde, une communauté d’hommes, de continents, de races, de religions différentes mais fraternellement unis. Plus vite vous apporterez votre contribution, plus importante sera celle-ci, plus vite vous contribuerez à la constitution de ce vaste marché intérieur qui englobera l’Europe et l’Afrique, assurant à l’une et à l’autre un devenir meilleur. Mais en plus de cet acte de solidarité dont vous avez fait preuve en acceptant l’association des pays et territoires d’outre-mer au Marché commun, vous avez accompli un véritable acte de foi, un acte de foi en l’Europe, un acte de foi en l’Afrique, un acte de foi en l’Eurafrique. Dans ce siècle où l’impératif est l’interdépendance, I ’Afrique soudée à l’Europe par des liens économiques, mais aussi par des liens culturels, affectifs, préfigurera ce que doit être le monde de demain : la communauté universelle. »
Trois années plus tard, c’est l’indépendance de la Côte d’ivoire. Dans le discours qu’il prononce à cette occasion solennelle, le jeune chef d’État assure que la « petite expérience » qu’il a acquise en quinze années de vie politique ne lui a fourni aucun exemple de peuple isolé se suffisant à lui-même. Et, partant de là, il prévient très clairement : « Les destinées de notre pays seront donc conduites, les fenêtres largement ouvertes sur le monde. »
Rapprochant la politique et le métier qui avait été le sien à l’aube de sa carrière professionnelle, il poursuivait la même adresse en s’excusant de voir le destin de la Côte d’ivoire avec des yeux de médecin. Il déclarait : « Toute demeure, pour la santé physique et morale de ses habitants, a besoin d’aération, de courants d’air. En est-il autrement pour la santé des nations ? Assurément non. Aussi envisageons-nous non seulement des contacts mais aussi des échanges entre peuples de races, de civilisations différentes, car ces contacts et ces échanges nous ont toujours paru indispensables à la meilleure compréhension entre les peuples. »
Ces contacts et ces échanges avec l’extérieur, que l’homme avait sans cesse appelés de ses vœux, c’est I ’un de leurs résultats concrets que le tout Abidjan est invité à découvrir le lundi 9 septembre 1963, à travers le luxueux établissement qui a été inauguré au cours des précédentes 48 heures, sous le nom d’hôtel Ivoire. Planté dans un décor que tous les commentaires de l’époque donnent pour un des plus beaux d’Afrique, le superbe complexe compte 14 étages et offre à sa clientèle 220 chambres, ainsi qu’une harmonieuse distribution de salles et de salons.
In L’EPREUVE DU POUVOIR : La construction de la Côte d’Ivoire (1960-1993) – Chapitre 17 :une couchette pour les investisseurs : l’hôtel Ivoire – pp.351-354
PART 1 : L’idée d’ouverture sur l’extérieur
S’il est un sujet sur lequel Houphouët, durant toute sa vie, a fait preuve de la plus grande transparence, la plus grande constance, la plus grande vigueur, c’est la nécessité de l’ouverture aux autres pour assurer notre propre épanouissement. Les autres, à ses yeux, étaient loin d’être l’enfer ; ils étaient le salut.
Certes, il lui était arrivé parfois de grincer des dents devant certaines distorsions de l’assistance extérieure. On peut rappeler par exemple le dépit qu’il avait éprouvé en 1960 à rembourser la totalité des dettes ivoiriennes de 1957, 1956 et 1955. « Nous les réglerons également, se plaignait-il, bien que nous sachions tous qu’elles sont le fruit de dépenses souvent incontrôlées de l’administration d’antan. »
Malgré quelques bémols de cette nature, jamais rien ne put détourner l’homme d’une conviction qui était solidement ancrée en lui. N’y avait-il pas un véritable credo chez le jeune homme qui se donnait pour un « petit neveu de sanguinaires roitelets nègres », louait les maîtres français de lui avoir appris à l’école le devoir de l’homme envers ses semblables, et se réjouissait que la France l’ait sorti « du fin fond de (sa) sauvage brousse Akoué », pour le jeter sur le dur chemin de l’évolution ? Le diagnostic d’une culture africaine plutôt barbare l’inclinait à penser, déjà tout jeune, que les siens ne pouvaient exister ni culturellement, ni socialement, ni économiquement, ni même politiquement, sans le recours de l’aide extérieure.
Cette conviction ; il l’avait élargie plus tard aux dimensions de la communauté des hommes. Un temps était arrivé où, par – delà l’horizon de son milieu culturel, il ne professait plus que l’interdépendance naturelle des peuples. En septembre 1957, on n’est guère surpris de voir le second congrès RDA de Bamako adopter une motion dans laquelle on peut lire que « l’indépendance est un droit, mais l’interdépendance est la règle d’or des peuples du 20ème siècle ».
Cette idée serait étrangère à Houphouët ? L’homme ne portait pas le masque six mois plus tôt, en recevant à Abidjan des parlementaires européens qui menaient une mission d’information sur le continent africain. Devant ces hôtes, il avait décidé de ne point cacher sa crainte d’un avenir de misère dans une Afrique noire délaissée par l’Europe. « Laisser l’Afrique noire livrée à ses seuls moyens économiques, dans une indépendance illusoire, sans contenu humain et social appréciable, soutenait-il, c’est laisser s’y perpétrer la misère, misère que d’autres s’emploieraient à exploiter à des fins qui ne serviraient ni à l’Afrique ni à l’Europe. »
Il reconnaissait, certes, que les sacrifices exigés des Européens seraient au-dessus des bénéfices qu’ils retireraient des territoires africains. Mais cela ne serait vrai, relativisait-il, que dans les premières années. Il était convaincu qu’à terme, les sacrifices des Européens seraient payants, même sur le plan strictement économique. « Vous avez bien voulu admettre l’association des pays et territoires d’outre- mer au Marché commun, argumentait-il. Loin de vous associer au renouveau d’un pacte colonial, vous allez au contraire, grâce à votre compréhension, à votre concours financier, économique, technique, contribuer à la réalisation d’une communauté unique, sans précédent dans le monde, une communauté d’hommes, de continents, de races, de religions différentes mais fraternellement unis. Plus vite vous apporterez votre contribution, plus importante sera celle-ci, plus vite vous contribuerez à la constitution de ce vaste marché intérieur qui englobera l’Europe et l’Afrique, assurant à l’une et à l’autre un devenir meilleur. Mais en plus de cet acte de solidarité dont vous avez fait preuve en acceptant l’association des pays et territoires d’outre-mer au Marché commun, vous avez accompli un véritable acte de foi, un acte de foi en l’Europe, un acte de foi en l’Afrique, un acte de foi en l’Eurafrique. Dans ce siècle où l’impératif est l’interdépendance, I ’Afrique soudée à l’Europe par des liens économiques, mais aussi par des liens culturels, affectifs, préfigurera ce que doit être le monde de demain : la communauté universelle. »
Trois années plus tard, c’est l’indépendance de la Côte d’ivoire. Dans le discours qu’il prononce à cette occasion solennelle, le jeune chef d’État assure que la « petite expérience » qu’il a acquise en quinze années de vie politique ne lui a fourni aucun exemple de peuple isolé se suffisant à lui-même. Et, partant de là, il prévient très clairement : « Les destinées de notre pays seront donc conduites, les fenêtres largement ouvertes sur le monde. »
Rapprochant la politique et le métier qui avait été le sien à l’aube de sa carrière professionnelle, il poursuivait la même adresse en s’excusant de voir le destin de la Côte d’ivoire avec des yeux de médecin. Il déclarait : « Toute demeure, pour la santé physique et morale de ses habitants, a besoin d’aération, de courants d’air. En est-il autrement pour la santé des nations ? Assurément non. Aussi envisageons-nous non seulement des contacts mais aussi des échanges entre peuples de races, de civilisations différentes, car ces contacts et ces échanges nous ont toujours paru indispensables à la meilleure compréhension entre les peuples. »
Ces contacts et ces échanges avec l’extérieur, que l’homme avait sans cesse appelés de ses vœux, c’est I ’un de leurs résultats concrets que le tout Abidjan est invité à découvrir le lundi 9 septembre 1963, à travers le luxueux établissement qui a été inauguré au cours des précédentes 48 heures, sous le nom d’hôtel Ivoire. Planté dans un décor que tous les commentaires de l’époque donnent pour un des plus beaux d’Afrique, le superbe complexe compte 14 étages et offre à sa clientèle 220 chambres, ainsi qu’une harmonieuse distribution de salles et de salons.
In L’EPREUVE DU POUVOIR : La construction de la Côte d’Ivoire (1960-1993) – Chapitre 17 :une couchette pour les investisseurs : l’hôtel Ivoire – pp.351-354