PART 5 :Les hommes forts de la diplomatie Ivoirienne et la formation des cadres
Un décret du 14 novembre 1960 avait désigné Ernest Amos DJORO ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Côte d’ivoire en République fédérale allemande. Ce jeune homme de trente ans, originaire d’Abidjan, c’était au métier de pasteur que ses parents, fervents protestants, l’avaient d’abord destiné. Il avait, pour cela, passé ses premières années scolaires aux séminaires de Dabou en Côte d’ivoire et de Porto Novo au Dahomey. Mais il s’était réorienté, à Aix- en-Provence en France, au niveau des études secondaires. Quand il avait appris la nouvelle de sa confirmation comme ambassadeur, il ne résidait à Bonn que depuis quelques semaines, comme chargé d’affaires, et il n’avait pas encore tout à fait terminé ses études puisque, même s’il était déjà diplômé de l’École nationale des langues orientales de Paris, il menait encore, depuis un an, les recherches d’une thèse sur « le fait nationaliste en Côte d’ivoire et les stratégies politiques du RDA ».
Images d’archives
Une seconde nomination avait été rendue publique un mois et demi plus tard, le 30 décembre 1960 : c’était celle d’Arsène Usher ASSOUAN. Il était devenu délégué permanent de la Côte d’ivoire auprès de l’ONU. Licencié en droit, avocat à la Cour d’appel d’Abidjan, Usher Assouan était également un jeune homme de trente ans, qui travaillait peu auparavant comme directeur adjoint de la Caisse de compensation et des prestations familiales. Il avait été membre de la délégation ivoirienne à la 15ème session de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’était tenue de septembre à décembre. C’est à l’issue de cette mission qu’il avait été maintenu à New York.
L’Ambassadeur Arsène Usher ASSOUAN à l’ONU (Image d’archives)
Il faut donc poursuivre les nominations, après celles des premiers jours de l’année 1961. Un mois y suffit. Le lundi 30 janvier 1961, la presse ivoirienne annonce une audience d’une demi-heure accordée à « notre ambassadeur à Washington, M. Konan BEDIE », par le nouveau secrétaire d’État Dean Rusk. Comme son collègue de New York, Konan Bédié vient de la Caisse de compensation et des prestations familiales où lui aussi avait été, en rentrant de France à la fin de ses études en 1958, directeur adjoint. En 1959, Houphouët l’avait envoyé suivre au Quai d’Orsay une initiation à la diplomatie, qui s’était poursuivie par un stage de conseiller à l’ambassade de France à Washington. Il était donc naturel qu’il fût désigné en 1961 pour ouvrir la représentation ivoirienne auprès de l’exécutif américain. Il n’avait alors que 27 ans.
En même temps que la Côte d’ivoire se dote, en cet an 1 de son indépendance, des institutions nécessaires au bon fonctionnement de sa vie politique, elle semble préoccupée par l’insuffisance du personnel d’exécution dans l’activité économique et la nécessité de prendre des mesures d’urgence pour suppléer à cette situation. Durant cette période en tout cas, il ne se passe pas un jour où la presse ne mentionne un départ en stage, en général en France, pour les agents de divers corps de métier. Dès le 2 janvier, il est fait mention du voyage en France de quelque 21 postiers ivoiriens pour un stage de perfectionnement.
Les personnes concernées dans la presse du lendemain sont des cadres du commandement. Une convention signée entre le ministre de l’Enseignement technique et la Fédération des industries mécaniques et transformatrices des métaux (FIMTM) permet à cette dernière de mettre à la disposition de la Côte d’ivoire un spécialiste de la formation des cadres, Joseph Bellan. La mission de ce dernier est d’initier à des techniques de pointe du commandement et de l’organisation scientifique du travail, des professionnels ivoiriens déjà qualifiés, techniciens ou administratifs, qui assument ou doivent assumer des fonctions de commandement.
Voici à présent les gendarmes. Le samedi 28 janvier, ils sont douze auxiliaires des compagnies d’Abidjan, de Bouaké et de Daloa, rassemblés au pied de l’avion d’Air France qui s’apprête à décoller pour Paris. Appelés à former les futurs cadres de la gendarmerie nationale ivoirienne, ils vont eux-mêmes suivre un stage de perfectionnement à l’École des élèves sous-officiers de Fréjus.
Ce déploiement n’est pas innocent. Le pays fait face à un manque criard de main d’œuvre qualifiée, dû à la timidité des politiques de scolarisation à l’époque coloniale toute proche. Au lendemain de l’indépendance, le taux d’alphabétisation de la Côte d’ivoire ne se situe guère qu’entre 5 et 10 %, ce qui sensibilise immédiatement les autorités à la nécessité d’une éducation de masse, au moins jusqu’au niveau secondaire.
Cette formation variée du matériau humain national, prolongeant les nombreuses initiatives qui ont rythmé la vie politique depuis la deuxième moitié de l’année 1960, entre dans la liste des actes par lesquels Houphouët montre qu’il est en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de son pays.
Certes, la Côte d’ivoire est restée profondément française en ces premiers moments de son émancipation politique, mais on voit bien qu’elle se donne également les moyens de se prendre en charge désormais, d’assumer son destin, de s’affirmer telle qu’en elle-même.
L’homme qui conduit le pays dans cette accélération laisse parfois penser à Bonaparte après 1789. André Maurois constatait que celui-ci, trouvant table rase après une révolution, pouvait imposer pour cent ans à une nation la forme de son esprit. Et il assurait, fort de ce constat, que l’homme prend plus aisément le pouvoir dans un pays neuf, où tout est à construire, qu’il ne peut le faire dans un pays de civilisation ancienne. Houphouët est-il dans une posture différente, dans cette Côte d’ivoire des premières années de l’indépendance ? Le cadre dans lequel il va se mouvoir est en tout cas sans limites, et c’est d’abord parce qu’il a affaire à un pays à créer tout entier. Un pays où il peut plus prendre le pouvoir qu’il n’est à prendre par celui-ci.
In ENFIN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE : Chapitre 2 La mise en place des institutions ; p53-p56.
PART 5 : Les hommes forts de la diplomatie Ivoirienne et la formation des cadres
Un décret du 14 novembre 1960 avait désigné Ernest Amos DJORO ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Côte d’ivoire en République fédérale allemande. Ce jeune homme de trente ans, originaire d’Abidjan, c’était au métier de pasteur que ses parents, fervents protestants, l’avaient d’abord destiné. Il avait, pour cela, passé ses premières années scolaires aux séminaires de Dabou en Côte d’ivoire et de Porto Novo au Dahomey. Mais il s’était réorienté, à Aix- en-Provence en France, au niveau des études secondaires. Quand il avait appris la nouvelle de sa confirmation comme ambassadeur, il ne résidait à Bonn que depuis quelques semaines, comme chargé d’affaires, et il n’avait pas encore tout à fait terminé ses études puisque, même s’il était déjà diplômé de l’École nationale des langues orientales de Paris, il menait encore, depuis un an, les recherches d’une thèse sur « le fait nationaliste en Côte d’ivoire et les stratégies politiques du RDA ».
Images d’archives
Une seconde nomination avait été rendue publique un mois et demi plus tard, le 30 décembre 1960 : c’était celle d’Arsène Usher ASSOUAN. Il était devenu délégué permanent de la Côte d’ivoire auprès de l’ONU. Licencié en droit, avocat à la Cour d’appel d’Abidjan, Usher Assouan était également un jeune homme de trente ans, qui travaillait peu auparavant comme directeur adjoint de la Caisse de compensation et des prestations familiales. Il avait été membre de la délégation ivoirienne à la 15ème session de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’était tenue de septembre à décembre. C’est à l’issue de cette mission qu’il avait été maintenu à New York.
L’Ambassadeur Arsène Usher ASSOUAN à l’ONU (Image d’archives)
Il faut donc poursuivre les nominations, après celles des premiers jours de l’année 1961. Un mois y suffit. Le lundi 30 janvier 1961, la presse ivoirienne annonce une audience d’une demi-heure accordée à « notre ambassadeur à Washington, M. Konan BEDIE », par le nouveau secrétaire d’État Dean Rusk. Comme son collègue de New York, Konan Bédié vient de la Caisse de compensation et des prestations familiales où lui aussi avait été, en rentrant de France à la fin de ses études en 1958, directeur adjoint. En 1959, Houphouët l’avait envoyé suivre au Quai d’Orsay une initiation à la diplomatie, qui s’était poursuivie par un stage de conseiller à l’ambassade de France à Washington. Il était donc naturel qu’il fût désigné en 1961 pour ouvrir la représentation ivoirienne auprès de l’exécutif américain. Il n’avait alors que 27 ans.
En même temps que la Côte d’ivoire se dote, en cet an 1 de son indépendance, des institutions nécessaires au bon fonctionnement de sa vie politique, elle semble préoccupée par l’insuffisance du personnel d’exécution dans l’activité économique et la nécessité de prendre des mesures d’urgence pour suppléer à cette situation. Durant cette période en tout cas, il ne se passe pas un jour où la presse ne mentionne un départ en stage, en général en France, pour les agents de divers corps de métier. Dès le 2 janvier, il est fait mention du voyage en France de quelque 21 postiers ivoiriens pour un stage de perfectionnement.
Les personnes concernées dans la presse du lendemain sont des cadres du commandement. Une convention signée entre le ministre de l’Enseignement technique et la Fédération des industries mécaniques et transformatrices des métaux (FIMTM) permet à cette dernière de mettre à la disposition de la Côte d’ivoire un spécialiste de la formation des cadres, Joseph Bellan. La mission de ce dernier est d’initier à des techniques de pointe du commandement et de l’organisation scientifique du travail, des professionnels ivoiriens déjà qualifiés, techniciens ou administratifs, qui assument ou doivent assumer des fonctions de commandement.
Voici à présent les gendarmes. Le samedi 28 janvier, ils sont douze auxiliaires des compagnies d’Abidjan, de Bouaké et de Daloa, rassemblés au pied de l’avion d’Air France qui s’apprête à décoller pour Paris. Appelés à former les futurs cadres de la gendarmerie nationale ivoirienne, ils vont eux-mêmes suivre un stage de perfectionnement à l’École des élèves sous-officiers de Fréjus.
Ce déploiement n’est pas innocent. Le pays fait face à un manque criard de main d’œuvre qualifiée, dû à la timidité des politiques de scolarisation à l’époque coloniale toute proche. Au lendemain de l’indépendance, le taux d’alphabétisation de la Côte d’ivoire ne se situe guère qu’entre 5 et 10 %, ce qui sensibilise immédiatement les autorités à la nécessité d’une éducation de masse, au moins jusqu’au niveau secondaire.
Cette formation variée du matériau humain national, prolongeant les nombreuses initiatives qui ont rythmé la vie politique depuis la deuxième moitié de l’année 1960, entre dans la liste des actes par lesquels Houphouët montre qu’il est en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire de son pays.
Certes, la Côte d’ivoire est restée profondément française en ces premiers moments de son émancipation politique, mais on voit bien qu’elle se donne également les moyens de se prendre en charge désormais, d’assumer son destin, de s’affirmer telle qu’en elle-même.
L’homme qui conduit le pays dans cette accélération laisse parfois penser à Bonaparte après 1789. André Maurois constatait que celui-ci, trouvant table rase après une révolution, pouvait imposer pour cent ans à une nation la forme de son esprit. Et il assurait, fort de ce constat, que l’homme prend plus aisément le pouvoir dans un pays neuf, où tout est à construire, qu’il ne peut le faire dans un pays de civilisation ancienne. Houphouët est-il dans une posture différente, dans cette Côte d’ivoire des premières années de l’indépendance ? Le cadre dans lequel il va se mouvoir est en tout cas sans limites, et c’est d’abord parce qu’il a affaire à un pays à créer tout entier. Un pays où il peut plus prendre le pouvoir qu’il n’est à prendre par celui-ci.
In ENFIN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE : Chapitre 2 La mise en place des institutions ; p53-p56.