LA MISE EN PLACE DES INSTITUTIONS

PART 4 : LA FORMATION DU CABINET MINISTERIEL DU PRESIDENT

Un mois après les élections présidentielles et législatives, la création du premier cabinet ministériel du jeune président de la République Félix Houphouët-Boigny, F installation du Conseil économique et social, et  la  nomination  d’un  président  de  la  Cour  suprême  donnent  un visible coup d’accélérateur à la vie politique nationale.

    Le mouvement amorcé se poursuit, une dizaine de jours plus tard, avec la désignation, en conseil des ministres, des personnalités qui composeront le conseil de la grande chancellerie de l’Ordre national de Côte d’ivoire. Le vendredi 13 janvier 1961, la présidence de cette nouvelle institution est confiée à Joseph Anoma, vieux compagnon d’Houphouët de l’époque du Syndicat agricole africain (SAA).

     L’homme n’est déjà plus tout jeune en 1961, avec ses 71 ans. Sorti en 1916 du creuset de William Ponty, il avait été d’abord instituteur dans diverses localités de son pays. Puis il s’était installé à Agboville à la fois comme commerçant et planteur. Avec Gabriel Dadié, Fulgence Brou, Georges Kassi, Lamine Touré et Seydou Guèye, il avait fait partie des anciens qui avaient supplie Houphouët d’accepter la présidence du Syndicat agricole africain, à la création de cette organisation en avril 1944. Vice-président du Syndicat, il avait été ensuite le successeur d’Houphouët à la présidence lorsque la vie politique avait éloigné ce dernier de la Côte d’ivoire à partir de 1946. Il était naturel qu’il devînt ministre de l’Agriculture en 1957, dans le premier Conseil de gouvernement de la Côte d’ivoire issu de la loi- cadre. Autant il avait été actif à l’époque du SAA, autant il avait été discret dans l’épopée du RDA. Cependant, Houphouët ne croit pas devoir, l’indépendance venue, le laisser à l’écart. Sans doute mesure-t- il le bénéfice qu’il peut recueillir de l’appui de ses aînés dans la gestion des affaires.

    Huit collaborateurs sont donnés à Joseph Anoma pour animer à ses côtés le conseil de la grande chancellerie de l’Ordre national : les députés Marcel Laubhouet et Coulibaly Dramane, les conseillers | économiques et sociaux Konian Kodjo et Kouisson Kélétigui, l’adjoint au maire d’Abidjan Antoine Konan Kanga, le conseiller général Moktar Touré, et enfin Dacoury Tabié et Amissan Kouamé

    Toujours ce 13 janvier 1961, le conseil des ministres examine et entérine le choix de M. Georges Ouégnin comme chef du protocole de la présidence de la République. Pourquoi le New York Times a-t-il écrit un jour que l’homme était connu pour s’être fait remarquer, à l’âge de 25 ans, pour son efficacité dans la coordination des festivités du 7 août 1960, organisées en présence d’une galerie de célébrités mondiales allant du général de Gaulle à Robert Kennedy?

   Houphouët ne l’avait rencontré en réalité qu’en décembre 1960, dans des circonstances d’ailleurs assez fortuites. Ayant assisté personnellement aux fêtes de l’indépendance du Nigeria, le 1er octobre 1960 à Lagos, il avait ensuite reçu à Yamoussoukro le Premier ministre de ce pays, Sir Abubakar Tafawa Balewa, venu le remercier de sa présence aux côtés des nouvelles autorités nigérianes24. Tafawa Balewa devait poursuivre avec son hôte ivoirien des échanges commencés lors de leur rencontre de Lagos, et ce dernier cherchait, pour la circonstance, une personne qui pût lui servir d’interprète. Un matin assez tôt, il appelle au téléphone un de ses jeunes compagnons, M’Bahia Blé Kouadio, alors député à l’Assemblée nationale. Et il lui présente deux demandes : lui faire porter des fleurs et lui trouver de toute urgence une personne pratiquant assez bien l’anglais pour l’aider dans une affaire pressante.

       M’Bahia Blé Kouadio, instituteur à Bouaké dans les années 50, avait été footballeur à l’Association sportive des fonctionnaires de la ville, club dont le père de Georges, François Ouégnin, avait été un des dirigeants. Il avait connu le premier par le second. Georges Ouégnin, confie-t-il, travaillait alors chez un concessionnaire automobile. C’était au lendemain de Noël, un jour férié. On ne pouvait trouver personne aux Affaires étrangères. Comment faire vite en un temps si court ? Il répond : « Je suis allé réveiller Georges Ouégnin pour lui demander d’aller à Yamoussoukro. Après un refus bien compréhensible, il a accepté. A son retour, il m’a confié que le président Houphouët-Boigny lui avait demandé de venir travailler définitivement avec lui, parce que convaincu par l’interprétariat qu ‘il avait réalisé toute la journée. Voici comment tout a commencé. »

    Le jeune homme était alors si profane dans son nouveau métier qu’il avait, selon son propre aveu, couru vers le premier dictionnaire pour chercher le sens du mot Protocole. Dans le cabinet civil de la présidence de la République, le Service du protocole qu’il va diriger, assisté par le chef de mission Jules Sérélé, n’est pas le premier des cinq organes établis. Il en est même le dernier, venant après la direction du cabinet, tenue par Guy Nairay, le pool des conseillers techniques qui regroupe Serge Mignonneau, Roger Perriard, Martin, Brun, Lacassagne, Avinir et Antoine Vergona, le corps des chargés de mission formé par Léon Caminade, le Dr Robert Sahnon et Yamoussoukro Cabodi, et le bureau de l’attachée de cabinet, Yvonne Plazanet.

      Malgré cette position, Georges Ouégnin sera, pendant trente-trois années, l’homme le plus en vue des proches collaborateurs d’Houphouët, Sa fonction le contraindra en effet, à toutes les apparitions publiques du président, à la fois à une présence rapprochée auprès de lui et à un rôle de perpétuel factotum. Il finira par devenir l’œil et l’oreille, la voix et le geste, le siège même des six sens de son maître, partout où les circonstances obligeront ce dernier à la retenue, ce qui lui garantira une puissance indiscutable.

    La nomination de Georges Ouégnin et celle de Joseph Anoma sont annoncées alors que se poursuit, hors de Côte d’ivoire, le maillage de l’espace diplomatique. En moins de cinq mois, Abidjan avait déjà accueilli plusieurs représentations étrangères. Une ambassade française avait été créée par le dernier Haut-commissaire français, Yves Guéna. De même, les États-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne et l’Allemagne fédérale avaient nommé respectivement, comme ambassadeurs en Côte d’ivoire, Boyden Reams, T.C. Ravensdale et Theodor Axenfeld. Le gouvernement ivoirien devait pourvoir ces pays d’une représentation réciproque. Déjà des ambassades ivoiriennes existaient à Jérusalem, à Rome, à Londres, à Berne. Avant le mois de janvier 1961 où ces quatre affectations avaient été annoncées, seules l’Allemagne fédérale et les Nations Unies avaient été pourvues.

In ENFIN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE : Chapitre 2 La mise en place des institutions ; p49-p53.

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