PART 2 : L’ASSEMBLEE NATIONALE ET LA FORMATION DU GOUVERNEMENT
Si Houphouët trouve à s’occuper avec le chantier du palais, l’administration du pays ne lui donne guère moins de travail. Jusqu’au mois de janvier 1961, c’était le gouvernement du 30 avril 1959 qui l’avait aidé dans la gestion des affaires. Il décide de ne pas entrer dans la nouvelle année sans pourvoir le pays d’une nouvelle équipe gouvernementale. Depuis novembre 1960, il se sent les coudées franches pour prendre une telle initiative. Sa situation avait en effet changé en ce mois-là. Quand il accédait aux fonctions de chef d’État le 7 août 1960, il n’était formellement que Premier ministre. Dans un pays qui s’était proclamé République depuis le 4 décembre 1958, il avait encore un pas à franchir pour devenir le chef suprême, devenir le président de la République. Pour ce faire, il fallait qu’il se soumît à une élection au suffrage universel direct, comme le stipulait l’article 9 de la Constitution de la Côte d’Ivoire.
Le scrutin avait eu lieu le 27 novembre 1960, animé par un collège électoral qui avait été ouvert non seulement aux Ivoiriens, mais également à tous les Africains vivant en Côte d’Ivoire et même à tous les Européens de Côte d’ivoire d’origine française. Houphouët, candidat unique, avait été confortablement élu à 98,76 % par 1 641 352 votants sur 1 661 833 inscrits5. Un peu plus d’un mois après ce développement, le jeune président de la République avait eu assez de temps pour composer son premier gouvernement.
Ce même 27 novembre, avaient été également élus au suffrage universel 70 députés inscrits sur une liste unique à laquelle le PDCI- RDA, désormais seul parti politique du pays, avait donné son investiture. C’était une liste à majorité RDA. En fait, elle n’était quasiment constituée que de militants de cette formation. Plus aucun des députés français, représentants de ce qu’on appelait autrefois « le premier collège », n’y figurait. Quant aux personnalités qui avaient naguère animé l’opposition au parti d’Houphouët, elles n’atteignaient même pas la demi-douzaine, et encore n’étaient-elles que des inconnues, en dehors de Biaise N’Dia Koffï et Adrien Dignan Bailly.
Désormais donc à l’Assemblée nationale, il n’était plus question des Tidiane Dem, des Étienne Djaument, des Kouamé Adingra, des Kakou Aoulou, des Jean-Baptiste Boa, des Sékou Sanogo. Peut-être Houphouët avait-il souhaité leur éviction pour s’assurer de l’adoption systématique des projets du gouvernement par un parlement entièrement acquis à ses vues. Pourquoi ses anciens détracteurs ne retrouveraient-ils pas parfois leurs réflexes d’agressivité d’antan, dans l’enceinte même où ils avaient naguère combattu le RDA ? Ne valait-il pas mieux, en leur confiant des responsabilités de ministres ou de diplomates, les placer à la fois sous son étroite surveillance et dans l’obligation de défendre absolument ses choix politiques ?
C’est devant cette Assemblée qu’Houphouët fera connaître, en ces premiers jours de la nouvelle année, son nouveau gouvernement, le premier du président de la République de Côte d’ivoire. Peu après l’élection des 70 inscrits, il avait fait savoir qu’il présenterait aux députés, conformément aux dispositions de l’article 26 de la Constitution, une communication personnelle portant sur les grandes lignes de la politique générale de son gouvernement. Ce rendez-vous avec l’Assemblée nationale a lieu le mardi 3 janvier 1961. Il sera, en fin de compte, à la fois celui du discours-programme du président et celui de la présentation des nouveaux ministres de la République.
En arrivant sur les lieux, à 16 heures, Houphouët traverse un impressionnant attroupement de personnes contenues sur les trottoirs par le service d’ordre. On n’avait pas vu une telle affluence sur ce site depuis l’euphorie du 7 août précédent, cinq mois plus tôt. Dans la cour du palais, drapeaux et musique claquent au vent. La garde républicaine, sabre au clair, forme une haie à l’extérieur, et, dans l’hémicycle même, éclairé a giorno, la tribune des hôtes est archi-comble. Dans cette forêt de costumes sombres, on ne peut reconnaître que l’archevêque d’Abidjan, Mgr Bernard Yago, singularisé par sa soutane blanche à la ceinture rouge. Ce sont vraiment le monde, le nombre et l’atmosphère des jours de prestige !
A sa descente à l’entrée du palais, Houphouët est accueilli par le président Philippe Yacé et son bureau. Puis, sans s’attarder, il monte à la tribune pour prendre la parole. Ses premiers mots sont une courte improvisation durant laquelle il remercie intensément deux des trois ministres français du cabinet, arrivés au tenue de leur mission. Ce sont Jean Millier et Georges Monnet.
Le premier, né à Paris le 28 juin 1917, est ingénieur des Ponts et chaussées. Il avait été, au début des années 50, directeur général des Travaux publics de la Côte d’ivoire, avant de devenir en avril 1959 ministre des Travaux publics, des Transports et des Postes et Télécommunications. Il serait, après son expérience ivoirienne, président-directeur général de la Société d’aménagement du rond-point de la Défense, puis directeur du Centre Pompidou, à Paris. En ce mois de janvier 1961, il doit passer la main à un jeune ingénieur des Arts et Métiers, Alcide-Augustin Kakou, qui lui-même est appelé à céder son précédent portefeuille, F Enseignement technique, au professeur Joachim Bony.
Quant à Georges Monnet, il pouvait déjà aspirer à la retraite en 1961, ayant atteint ses 63 ans cette année-là. Planteur et industriel de son état, il était également un grand expert des questions agricoles. Originaire d’Aurillac dans le Cantal, où il avait vu le jour le 12 avril 1898, il avait été en 1936 ministre de l’Agriculture, dans le gouvernement du Front populaire formé par Léon Blum. Il se ferait remarquer dans cette fonction par une vigoureuse action de stabilisation des prix du blé, à travers l’Office interprofessionnel du blé dont il avait été l’instigateur. En entrant à l’Assemblée de l’Union française en 1947, il y est sans surprise porté à la tête de la Commission de l’agriculture. C’est dans les allées des institutions de la République qu’il rencontre Houphouët. Il se lie d’amitié avec lui et ainsi, s’intéresse à la Côte d’ivoire où il crée en 1957 la Société de recherches du café et du cacao. En 1959, Houphouët, devenu Premier ministre dans son pays, lui propose le portefeuille de l’Agriculture et de la Coopération de son gouvernement. Son successeur en 1961 est Charles Donwahi, auparavant secrétaire d’État à l’Agriculture. Georges Monnet devient alors conseiller du président de la République pour les questions agricoles.
Le nouveau gouvernement est réduit à 15 membres contre 18 ; précédemment. En le regardant de près, on note qu’en réalité, Jean Millier et Georges Monnet ne sont pas les seuls partants. Les deux ministres français sont en effet sortis en même temps que six collègues ivoiriens : Jean-Baptiste Mockey, ancien vice-Premier ministre chargé de l’intérieur, Jean Delafosse, ancien ministre d’État, Ernest Boka, ancien ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de la Fonction publique, Antoine Konan Kanga, ancien secrétaire d’État aux Finances, Aoussou Koffi, ancien secrétaire d’État à l’industrie et au Plan, et Amadou Bocoura, ancien secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé de l’information.
Aucun de ces sortants ne restera longtemps inoccupé. Il y a en effet à pourvoir toutes les institutions de la République et toutes les représentations de la Côte d’ivoire à l’étranger. Houphouët annoncera d’ailleurs, dès ce 3 janvier, la création de quatre postes diplomatiques, « dont les titulaires, dira-t-il, seront désignés ultérieurement » C’est donc sans surprise que les Ivoiriens apprennent, dans les jours suivants, la nomination de Jean-Baptiste Mockey comme ambassadeur de Côte d’ivoire en Israël, avec résidence à Jérusalem, celle d’Aoussou Koffi comme ambassadeur auprès du Quirinal, avec résidence à Rome, et celle d’Amadou Bocoum comme ambassadeur au Royaume-Uni, avec résidence à Londres.
Que deviennent les trois derniers ministres partants ?
In ENFIN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE : Chapitre 2 La mise en place des institutions ; p40-p45.
PART 2 : L’ASSEMBLEE NATIONALE ET LA FORMATION DU GOUVERNEMENT
Si Houphouët trouve à s’occuper avec le chantier du palais, l’administration du pays ne lui donne guère moins de travail. Jusqu’au mois de janvier 1961, c’était le gouvernement du 30 avril 1959 qui l’avait aidé dans la gestion des affaires. Il décide de ne pas entrer dans la nouvelle année sans pourvoir le pays d’une nouvelle équipe gouvernementale. Depuis novembre 1960, il se sent les coudées franches pour prendre une telle initiative. Sa situation avait en effet changé en ce mois-là. Quand il accédait aux fonctions de chef d’État le 7 août 1960, il n’était formellement que Premier ministre. Dans un pays qui s’était proclamé République depuis le 4 décembre 1958, il avait encore un pas à franchir pour devenir le chef suprême, devenir le président de la République. Pour ce faire, il fallait qu’il se soumît à une élection au suffrage universel direct, comme le stipulait l’article 9 de la Constitution de la Côte d’Ivoire.
Le scrutin avait eu lieu le 27 novembre 1960, animé par un collège électoral qui avait été ouvert non seulement aux Ivoiriens, mais également à tous les Africains vivant en Côte d’Ivoire et même à tous les Européens de Côte d’ivoire d’origine française. Houphouët, candidat unique, avait été confortablement élu à 98,76 % par 1 641 352 votants sur 1 661 833 inscrits5. Un peu plus d’un mois après ce développement, le jeune président de la République avait eu assez de temps pour composer son premier gouvernement.
Ce même 27 novembre, avaient été également élus au suffrage universel 70 députés inscrits sur une liste unique à laquelle le PDCI- RDA, désormais seul parti politique du pays, avait donné son investiture. C’était une liste à majorité RDA. En fait, elle n’était quasiment constituée que de militants de cette formation. Plus aucun des députés français, représentants de ce qu’on appelait autrefois « le premier collège », n’y figurait. Quant aux personnalités qui avaient naguère animé l’opposition au parti d’Houphouët, elles n’atteignaient même pas la demi-douzaine, et encore n’étaient-elles que des inconnues, en dehors de Biaise N’Dia Koffï et Adrien Dignan Bailly.
Désormais donc à l’Assemblée nationale, il n’était plus question des Tidiane Dem, des Étienne Djaument, des Kouamé Adingra, des Kakou Aoulou, des Jean-Baptiste Boa, des Sékou Sanogo. Peut-être Houphouët avait-il souhaité leur éviction pour s’assurer de l’adoption systématique des projets du gouvernement par un parlement entièrement acquis à ses vues. Pourquoi ses anciens détracteurs ne retrouveraient-ils pas parfois leurs réflexes d’agressivité d’antan, dans l’enceinte même où ils avaient naguère combattu le RDA ? Ne valait-il pas mieux, en leur confiant des responsabilités de ministres ou de diplomates, les placer à la fois sous son étroite surveillance et dans l’obligation de défendre absolument ses choix politiques ?
C’est devant cette Assemblée qu’Houphouët fera connaître, en ces premiers jours de la nouvelle année, son nouveau gouvernement, le premier du président de la République de Côte d’ivoire. Peu après l’élection des 70 inscrits, il avait fait savoir qu’il présenterait aux députés, conformément aux dispositions de l’article 26 de la Constitution, une communication personnelle portant sur les grandes lignes de la politique générale de son gouvernement. Ce rendez-vous avec l’Assemblée nationale a lieu le mardi 3 janvier 1961. Il sera, en fin de compte, à la fois celui du discours-programme du président et celui de la présentation des nouveaux ministres de la République.
En arrivant sur les lieux, à 16 heures, Houphouët traverse un impressionnant attroupement de personnes contenues sur les trottoirs par le service d’ordre. On n’avait pas vu une telle affluence sur ce site depuis l’euphorie du 7 août précédent, cinq mois plus tôt. Dans la cour du palais, drapeaux et musique claquent au vent. La garde républicaine, sabre au clair, forme une haie à l’extérieur, et, dans l’hémicycle même, éclairé a giorno, la tribune des hôtes est archi-comble. Dans cette forêt de costumes sombres, on ne peut reconnaître que l’archevêque d’Abidjan, Mgr Bernard Yago, singularisé par sa soutane blanche à la ceinture rouge. Ce sont vraiment le monde, le nombre et l’atmosphère des jours de prestige !
A sa descente à l’entrée du palais, Houphouët est accueilli par le président Philippe Yacé et son bureau. Puis, sans s’attarder, il monte à la tribune pour prendre la parole. Ses premiers mots sont une courte improvisation durant laquelle il remercie intensément deux des trois ministres français du cabinet, arrivés au tenue de leur mission. Ce sont Jean Millier et Georges Monnet.
Le premier, né à Paris le 28 juin 1917, est ingénieur des Ponts et chaussées. Il avait été, au début des années 50, directeur général des Travaux publics de la Côte d’ivoire, avant de devenir en avril 1959 ministre des Travaux publics, des Transports et des Postes et Télécommunications. Il serait, après son expérience ivoirienne, président-directeur général de la Société d’aménagement du rond-point de la Défense, puis directeur du Centre Pompidou, à Paris. En ce mois de janvier 1961, il doit passer la main à un jeune ingénieur des Arts et Métiers, Alcide-Augustin Kakou, qui lui-même est appelé à céder son précédent portefeuille, F Enseignement technique, au professeur Joachim Bony.
Quant à Georges Monnet, il pouvait déjà aspirer à la retraite en 1961, ayant atteint ses 63 ans cette année-là. Planteur et industriel de son état, il était également un grand expert des questions agricoles. Originaire d’Aurillac dans le Cantal, où il avait vu le jour le 12 avril 1898, il avait été en 1936 ministre de l’Agriculture, dans le gouvernement du Front populaire formé par Léon Blum. Il se ferait remarquer dans cette fonction par une vigoureuse action de stabilisation des prix du blé, à travers l’Office interprofessionnel du blé dont il avait été l’instigateur. En entrant à l’Assemblée de l’Union française en 1947, il y est sans surprise porté à la tête de la Commission de l’agriculture. C’est dans les allées des institutions de la République qu’il rencontre Houphouët. Il se lie d’amitié avec lui et ainsi, s’intéresse à la Côte d’ivoire où il crée en 1957 la Société de recherches du café et du cacao. En 1959, Houphouët, devenu Premier ministre dans son pays, lui propose le portefeuille de l’Agriculture et de la Coopération de son gouvernement. Son successeur en 1961 est Charles Donwahi, auparavant secrétaire d’État à l’Agriculture. Georges Monnet devient alors conseiller du président de la République pour les questions agricoles.
Le nouveau gouvernement est réduit à 15 membres contre 18 ; précédemment. En le regardant de près, on note qu’en réalité, Jean Millier et Georges Monnet ne sont pas les seuls partants. Les deux ministres français sont en effet sortis en même temps que six collègues ivoiriens : Jean-Baptiste Mockey, ancien vice-Premier ministre chargé de l’intérieur, Jean Delafosse, ancien ministre d’État, Ernest Boka, ancien ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de la Fonction publique, Antoine Konan Kanga, ancien secrétaire d’État aux Finances, Aoussou Koffi, ancien secrétaire d’État à l’industrie et au Plan, et Amadou Bocoura, ancien secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé de l’information.
Aucun de ces sortants ne restera longtemps inoccupé. Il y a en effet à pourvoir toutes les institutions de la République et toutes les représentations de la Côte d’ivoire à l’étranger. Houphouët annoncera d’ailleurs, dès ce 3 janvier, la création de quatre postes diplomatiques, « dont les titulaires, dira-t-il, seront désignés ultérieurement » C’est donc sans surprise que les Ivoiriens apprennent, dans les jours suivants, la nomination de Jean-Baptiste Mockey comme ambassadeur de Côte d’ivoire en Israël, avec résidence à Jérusalem, celle d’Aoussou Koffi comme ambassadeur auprès du Quirinal, avec résidence à Rome, et celle d’Amadou Bocoum comme ambassadeur au Royaume-Uni, avec résidence à Londres.
Que deviennent les trois derniers ministres partants ?
In ENFIN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE : Chapitre 2 La mise en place des institutions ; p40-p45.